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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 3 : tout à l’intercommunalité et à la région ?

Posted by Dominique Lahary sur 11 février 2009

Les travaux sur la réforme territoriale continuent :

La région ?

J’ai rejeté dans mon billet précédent l’idée exprimée par le député Warsmann dans son rapport du 8 octobre 2008 de « confier au seul département la compétence en matière de bibliothèques. »

M. Warsmann propose explicitement de transférer au département les bibliothèques municipales…  et régionales, celles dernières n’existant que dans imagination.

Mais voilà qu’une des hypothèses les plus sérieusement avancées en matière de réforme territoriale, y compris dans ce qui transpire de la commission Balladur, est la transformation des départements en sous-ensembles des régions, sans que le degré d’autonomie politique qui serait alors accordée aux départements apparaissent encore clairement (jusqu’ici la doctrine française repose sur l’absence de hiérarchie entre les différents niveaux de collectivités territoriales).

Si le département devait devenir un sous-ensemble de la région, selon des modalités dont le comité Balladur convient qui restent à éclaircir (« les départements resteraient-ils des collectivités territoriales à part entière ? deviendraient-ils des composantes des régions, tout en conservant la personnalité morale ? [ou] sans la personnalité morale ? »), on peut imaginer les hypothèses suivantes concernant l’avenir des bibliothèques départementales :

  1. statu quo : maintien de services départementaux distincts dépendants de chaque conseil général, sans instance de coordination ;
  2. création d’un service régional qui aurait un rôle de coordination et assumerait des tâches spécialisées sans avoir autorité sur chacune des bibliothèques départementales ;
  3. fusion des bibliothèques départementales de chaque région par création d’un service régional de lecture publique, éventuellement doté d’antennes départementales et/ou infradépartementales.

Chacune de ces trois hypothèses demeure compatible avec la poursuite du rôle actuellement assuré par les bibliothèques départementales, sachant que le maintien d’une relation de proximité avec les communes et intercommunalité est essentiel.

Ces perspectives m’inspirent deux remarques.

  1. Les trois hypothèses ci-dessus ressemblent étrangement aux différentes variantes de la gestion intercommunale de la lecture publique, qu’elles soient vues sous l’angle institutionnel (du transfert total à la collectivité intercommunale au maintien de la juxtaposition de bibliothèques uniquement communales) ou sous l’angle fonctionnel (de l’intégration totale des fonctionnement à l’autonomie fonctionnelle de chaque établissement). Autant dire que, sauf injonction politique évidemment légitime, l’intégration institutionnelle n’entraine pas mécaniquement l’intégration fonctionnelle et que, sur l’un et l’autre plan, entre le tout ou rien, il existe des degrés.
  2. Si la lecture publique devait être entraînée, par la force d’un mouvement général, vers une instance régionale, nous assisterions à la résurgence, cette fois assumée, de ce qu’en 2003 je nommais « l’introuvable échelon régional » dans Le développement territorial de la lecture publique : éléments de rétroprospective : des projets inaboutis (défendus par Georgette et Éric Grolier puis Pierre Lelièvre dans les années 1930, puis par les partisans de la bibliothèque de secteur dans les années 1960 et 1970, sans parler du rapport Pingaud-Barraud en 1982) à la création des agences régionales de coopération dans les années 1980.

Ce n’est évidemment pas à partir du cas de la lecture publique que sera reconfigurée, si elle doit l’être, l’organisation territoriale de la République, mais les travaux préparant cette réforme évoquent tous la définition des compétences de chaque collectivité. Or les BDP ne peuvent pas ne pas être évoqués puisqu’il s’agit d’une conférence obligatoire des départements, transférée par l’Etat en 1986. Ou bien cette compétence disparaît, ce qui n’est ni vraisemblable ni souhaitable, ou bien elle est confirmée et assignée au département maintenu ou à la Région.

J’observe simplement que les missions assumées par les départements sont bien identifiées tout en évoluant, tandis que la coopération régionale tend à prendre une tournure interprofessionnelle certes utile mais contionnée à des segments particuliers0. C’ets donc à partir de l’activité actuelle des BDP qu’une éventuelle recomposition peut s’opérer sans liquider les ‘acquis.

Enfin, si au jardin à la française est préféré un traitement au cas par cas, du moins dans certaines zones (cas particulier de l’Île-de-France, fusion des départements alsaciens, extension de la communauté lyonnaise a détriment du Rhône…), les BDP situées dans ces zones pourraient subir des sorts particuliers.

L’intercommunalité ?

L’échelle intercommunale, peu abordée dans les médias généralistes à propos de la réforme, en est  pourtant un des enjeux majeurs puisque le comité Balladur se pose cette question radicale : « les communes (…] resteraient-elles des collectivités territoriales à part entière ? » ; « la clause de compétence générale devrait-elle être reconnue exclusivement aux intercommunalités ? »

Dès lors, de deux choses l’une :

  • ou on en reste au laisser-faire actuel, ce qui, dans le domaine de la lecture publique, se traduit par une variété de modèles plus o u moins efficaces,
  • ou la lecture publique est assignée par la loi, non aux départements comme le veut le député Jean-Paul Warsmann, mais aux intercommunalités.

Dans cette dernière hypothèse, une compétence intercommunale en matière de lecture publique couplée à une clause de compétence générale pourrait être un bon moyen, à la campagne comme dans les zones urbaines, pour tirer les réseaux de bibliothèques vers davantage d’efficacité sans les couper du nécessaire croisement avec les politiques sociales et éducatives.

Démocratie, clause de compétence générale et subsidiarité,

La recherche du meilleur niveau possible de gestion pour chaque compétence est une application du principe de subsidiarité.

Si on ne l’envisage que d’un point de vue technique, alors on isole chaque segment de l’action publique locale et l’on fait de chaque niveau de collectivité le gestionnaire technique de services délégués par l’Etat, qui deviendrait le seul stratège, comme je le suggérais dans mon premier billet de cette série.

Finalement, la subsidiarité n’est un élément de démocratie que si elle associe plusieurs compétences stratégiques, ou, dans le meilleur des cas, si elle est liée à une clause de compétence générale.

C’est pourquoi cette dernière, enjeu du véritable choix démocratique dans les élections locales, est un des enjeux essentiels de la réforme en cours de préparation. Les conseils généraux délibèrent d’ailleurs en ce moment pour exiger qu’elle leur soit maintenue.

En tant que système de diffusion, la lecture publique doit être efficace, ce qui plaide pour un échelon adéquat de gestion (intercommunalité, département ou région).

Mais la politique de développement de la lecture au sens large (étendue à l’écoute de musique et au visionnement de films) n’est pas seulement une affaire de diffusion : elle s’appuie sur des partenariats et des transversalités.

Et les lieux bibliothèques sont des creusets de services, pas seulement documentaires, qui se placent aux carrefour des diverses politiques locales.

Voilà pourquoi la lecture publique ne se portera bien qu’adossée à une clause de compétence la plus générale possible, aux différents niveaux où on voudra bien l’assigner (je plaide pour ma part pour l’intercommunalité et le département).

Puissent les bibliothèques de toutes natures s’inscrire dans une organisation territoriale de la République qui soit la plus démocratique possible, si tant est que, comme le proclame la Charte des bibliothèques du Conseil supérieur des bibliothèques « la bibliothèque est un service public nécessaire à l’exercice de la démocratie.»

Mes autres billets sur le projet de réforme territoriale :

5 Réponses to “Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 3 : tout à l’intercommunalité et à la région ?”

  1. Yvonnic said

    Sans entrer dans le débat de fond concernant le maintien de tel ou tel échelon, ou la question du devenir des BDP, je signale tout de même que le rapport Warsmann, probablement criticable sur de nombreux points, a le mérite de mettre l’accent sur la question des moyens. Citation : « En effet, ces missions consistant à mettre en valeur et rendre accessible au grand public des biens culturels, présentent des points communs qui justifient qu’elles soient confiées à un échelon administratif restant proche des citoyens tout en disposant de moyens humains et financiers suffisants . ». Or il est certain que le grand scandale actuel des bibliothèques, bien français, est celui de l’énorme disparité de moyens materiels et humains qui existe à des niveaux comparables en termes de populations desservies. Et l’on peut constater que les intercommunalités n’ont qu’assez peu atténué ces disparités. Toute solution, à quelque échelon que ce soit, qui permettrait que dans des communes ou des intercommunalités, la bibliothèque, sa création même, ses moyens, ne soient plus dépendants du seul « fait du prince », est bonne à considérer.

    Reste à savoir si l’échelon départemental n’est pas précisement trop proche des pouvoirs locaux pour permettre autre chose que la simple répétition des arbitraires locaux. L’échelon régional semble plus équilibré.

    Il me parait assez étonnant qu’on puisse parler d’échelon adéquat de gestion, de partenariat, de transversalité et finalement de démocratie (!), sans considérer d’abord qu’il n’y aura de démocratie en la matière sans une égalité minimale « de moyens humains et financiers « . Or la garantie de cette égalité de traitement sera inversement proportionnelle à la proximité. C’est fâcheux sur ce dernier point, mais il faut savoir où sont les priorités : maintenir l’actuelle inegalité territoriale, les particularismes locaux et les arbitraires financiers des élus intercommunaux, en perpétuant les différentes « bequilles » existantes (dont les BDP), ou arriver enfin à ce que tout citoyen français puisse bénéficier à tout endroit du territoire de moyens suffisants et équivalents en termes d’accès à la lecture publique. Regardons les pays étrangers, dont on parle en termes élogieux à longueur d’année dans nos gazettes !

    J’ai vu en région parisienne, suite à un changement d’équipe municipale, la SUPPRESSION pure et simple de la bibliothèque (et du poste de ma collègue) d’une ville de plus de 10 000 hab, parce que le nouveau maire avait décidé qu’elle ne servait à rien ! Vous ne parlez JAMAIS de ces situations scandaleuses qui existent en France à ce niveau, de même pour les postes professionnels, les budgets d’acquisition, la sous-qualification etc. Situations qui sont dûes aux arbitraires locaux, augmentés des différences en termes de richesse locale (avec la suppression de la TP, on va rigoler). Sortir de cela, c’est LA priorité.

    Et si ça doit être la misère, qu’elle soit au moins pour tout le monde ! Au moins ça se verra. Pour l’instant elle est invisible, éparpillée, cachée, alors on minimise, on se gargarise de grands mots, mutualisation, réseaux etc..

    En attendant, merci au député Warsmann pour avoir parlé de moyens!

  2. Dans la mesure où les départements soutiennent déjà les bibliothèques rurales par le biais des BDP, j’ai du mal à comprendre en quoi le fait de gérer l’ensemble des bibliothèques françaises permettra de réduire les disparités. Les départements agissent précisément dans la limite de leurs… moyens, et à moins de rentrées budgétaires extra-ordinaires, ces moyens permettront difficilement de maintenir l’offre actuelle en matière de bibliothèques. Il va falloir songer à en supprimer quelques unes. Quant à l’égalité, aucune refonte territoriale ne changera le fait que le budget culturel des Hauts de Seine sera toujours sans commune mesure avec celui du Tarn et Garonne.

    Le point de l’intercommunalité reste délicat : un EPCI est facultatif. Encore aujourd’hui, un certain nombre de municipalités n’appartiennent à aucune communauté.

  3. Yvonnic said

    « Il va falloir songer à en supprimer quelques unes ». Ce qui reviendrait à appliquer la politique actuellement en vigueur pour les hopitaux et les tribunaux de proximité en France. C’est un choix. Si l’on reprend cette image, on voit bien où cela nous amènerait : on a supprimé des hopitaux de proximité parce qu’ils ne faisaient pas assez d’operations (lecteurs , prêts ?), ce qui ne justifiait pas la présence ou le maintien d’un « plateau technique » de qualité (professionnels, budgets ?) etc…

    « Quant à l’égalité, aucune refonte territoriale ne changera le fait que le budget culturel des Hauts de Seine sera toujours sans commune mesure avec celui du Tarn et Garonne. ». Justement si. Au niveau départemental que vous citez, rien ne changera effectivement. Mais plus on élargira la taille de la structure décisionnaire, plus on lui permettra de pratiquer une « égalité » (à chacun selon ses besoins) budgétaire. Dans une même région (et encore plus dans une région élargie, puisque le rapport Balladur envisage 15 région) il existe des départements pauvres et des departements riches. Seul le regroupement de ces moyens disparates permettra d’améliorer la « redistribution » au niveau local. Au fond des choses, ou bien nous sommes considérés comme des « services publics » à part entière ou bien des « danseuses » que peuvent se payer ou non certaines collectivités en fonction de leur richesse propre. Le débat de fond est bien là . On peut imaginer des communes sans bureau de poste (il y en a de plus en plus), mais il est difficile d’admettre que dans deux communes qui ont un bureau de poste, le service qui y est rendu soit différent en fonction des budgets locaux!
    A termes, on peut se poser la question (très politiquement incorrecte actuellement j’en conviens) de savoir si la condition première de la démocratie en matière d’accès égalitaire à la « lecture publique » ne passe pas tout bonnement par l’Etat. Question de logique : comme il ne pourra jamais y avoir de « loi sur les bibliothèques », qui irait contre le principe constitutionnel de « libre administration des collectivités territoriales », il convient peut-être de contourner le problème, sinon en étatisant ce service public, du moins en élargissant au maximum l’échelon décisionnel et budgétaire. Il y aura toujours moins de différences entre deux grandes regions qu’entre deux départements. Après c’est donc bien une question de redistribution.

    Quant aux intercommunalités comme échelon de base, je suis d’accord avec vous sur le fait que c’est souvent un problème (Les presidents des EPCI ne sont pas élus directement, on parle donc de « déficit démocratique », les regroupement existants se sont parfois faits de façon anarchique ou forcée, certaines communes les refusent, on jette au panier la récente notion de « pays », des quantités de strates de compétences existent entre les EPCI selon leur mode fiscal, l’existence de syndicats mixtes ou fermés, de Sivom etc.., les territoires ainsi formés sont parfois assez étranges sur le plan territorial, une commune peut changer d’EPCI, bref on n’en finirait pas d’énoncer les problèmes. Mais ces structures sont encore trop récentes, parfois inexistantes notamment en ile de France (60 % d’EPCI seulement), et demandent à se réguler encore un peu.)

    Les EPCI sont facultatifs ? De moins en moins. Les prefets ont d’ailleurs reçu des consignes pour faire accélerer le mouvement. Je pense que dans très peu d’années toutes les communes actuelles seront regroupées. On en est déja à une moyenne de 98% du territoire (99,9%; pour la haute Normandie par exemple) Ce qui ne résoudra pas la question de fond qui se pose à elles, comme ce que vous évoquez pour les departements :L’intercommunalité ne résout pas un des problèmes centraux des collectivités qui est l’inégalité des ressources. En réalité elle le déplace. Des communes pauvres qui se regroupent, restent pauvres, car l’effort de solidarité n’est réalisé qu’à l’intérieur de la structure intercommunal et non entre les structures.

    Il faut sortir de ces logiques de répartition de la pénurie.

  4. 98% d’EPCI ? Je devrais remettre mes informations à jour, j’en restais aux 87% de 2002. Je précise également que la phrase « Il va falloir songer à en supprimer quelques unes » n’est en rien une opinion personnelle » était purement ironique.

  5. Yvonnic said

    Je comptais toutes les formes existantes, y compris les syndicats de communes etc….Le rapport de la DGCL dénombre au 1er janvier 2009, mais uniquement pour les EPCI à fiscalité propre, 34164 communes, soit 93,1% des communes, soit 225 de plus que l’an passé. C’est la Corse et l’Ile de France qui font baisser la moyenne. Ceci dit, sur cet état des lieux le rapport Balladur est assez mitigé :
    « un bilan qualitatif « contrasté », des périmètres géographiques pas toujours satisfaisants, et des économies d’échelle rarement au rendez-vous… Dans les Hauts-de-Seine, on sait même que certaines intercommunalités ont suscité des hausses considérables de coûts. Enfin, le rapport souligne que la légitimité démocratique de ces structures n’est pas assurée dans le contexte actuel. »

    Le gouvernement travaille sur une loi dite de « Démocratie locale » (hi, hi !). Cette loi pourrait notamment fixer la date-butoir du 1er janvier 2014, au-delà de laquelle le préfet de Département aura le pouvoir d’intégrer d’office, dans des structures intercommunales en place, les dernières communes isolées.

    pour en revenir au sujet initial des moyens, le rapport (les 20 propositions sont connues depuis le 25 fevrier) remarque, pour la région parisienne, mais c’est valable pour les autres, les écarts de moyens, entre les départements et les collectivités de la petite couronne, la pertinence des territoires que dessine le paysage intercommunal, lequel se constitue pour le moment au gré d’alliances aléatoires entre tels ou tels élus, et la question de la pertinence des structures de décision pour tous les sujets d’aménagement du territoire et particulièrement ceux qui sont liés au développement durable.

    On revient enfin sur 40 ans de décentralisation ratée et de replâtrages. Pas trop tôt. Il va enfin se passer quelque chose. Et la lecture publique « pour tous » y aura enfin sa chance…

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