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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

Les deux pôles de l’action culturelle publique

Posted by Dominique Lahary sur 25 juillet 2011

Il me semble que l’action culturelle publique s’organise en deux pôles : aide à la création, prise en compte du public. Ses différents secteurs relèvent le plus souvent des deux, mais dans des proportions variables. Leur point commun : l’action publique rend possible ce que le seul jeu du marché ne permettrait pas, ou rendrait plus difficile.

L’aide à la création, aux créateurs, remonte aux époques ou les artistes étaient les clients ou les protégés des puissants ou des institutions religieuses. La puissance publique, démocratique (État, collectivités locales…) ou non (dans les régimes dits communistes), a pris leur relai.

De même que toute création s’impose à un public qui ne l’attendait pas, de même l’aide à la création ne saurait s’embarrasser a priori d’une demande du public.

La prise en compte du public procède à l’inverse : la puissance publique est alors attentive aux besoins, aux attentes, aux demandes du public des institutions, organismes, équipements et programmes culturels. Ce pôle n’est apparu qu’au 20ème siècle, me semble-t-il.

Comme l’autre pôle, il se justifie par le fait que la puissance publique est mieux placée pour satisfaire ses demandes, seule ou en complément avec l’offre non publique, commerciale ou non

Si l’on pervertit l’aide à la création par des impératifs d’audimat, on trahit une mission d’intérêt public. Cette mission est purement culturelle. Tout autre considération serait instrumentalisation.

Mais si on enferme la prise en compte du public dans la seule problématique de l’aide à la création, ont trahit là encore une mission d’intérêt public. Qui est, elle, nécessairement impure, mêlant le culturel et le social.

En d’autres termes, il y a une nécessaire incohérence de l’action publique culturelle, une nécessaire tension entre ses deux pôles. Cela se traduit inévitablement par une incompréhension entre ceux des acteurs qui campent presque exclusivement sur l’un des deux pôles.

J’écris ici sur l’ensemble des politiques culturelles pour désigner une nécessaire incohérence. Ceux qui se tiennent campés sur un des deux pôles en ignorant l’autre ou pire en voulant sa mort ne veulent rien d’autre à mon avis que l’appauvrissement des politiques culturelles par leur soumission à un principe unique.

Mais cette problématique permet aussi d’éclairer le cas spécifique des bibliothèques.

On voit bien comme de l’extérieur la bibliothèque est souvent enrôlée dans le camp de l’aide à la création, comment certains auteurs s’imaginent la bibliothèque comme nécessairement « d’art et d’essai ».

On voit aussi les querelles internes aux bibliothécaires entre les prescripteurs et les diffuseurs, les uns de se sentant justifiés que par la transmission et les autres par l’usage et les usagers

Je considère pour ma part que la plupart des bibliothèques, et en tout cas celles dites de « lecture publique », sans être étrangères au pôle de soutien à la création, relèvent prioritairement du pôle du public.

Mais j’admets des éléments de prescription et de soutien à la création (résidences d’auteurs ou d’artistes, rencontres avec eux, rôle d’achat de certaines production).

Vive l’incohérence !

PS :

1. Ce billet traînait déjà sur ma pile quand a fleuri la polémique sur la Culture pour chacun , à partir de deux rapports : Étude et   propositions d’actions en faveur de l’accès de chacun à la culture par Elise Longuet, 15mars 2010, et Culture pour chacun par Guillaume Pfister et Francis Lacloche, 7 novembre 2010. J’y reviendrai peut-être car ce débat croise étroitement ma problématique des deux pôles.

2. Comme je reviendrai peut-être sur cet intéressant texte d’Olvier Donnat, En finir (vraiment) avec la « démocratisation de la culture » , publié depuis le 24 avril 2011 mais qu’un DAC vient seulement de me faire découvrir

Note du 15 février 2016 : on annonce, on annonce, et on n’en fait rien. Je ne sais pas s’y je reviendrai un jour, non sur une polémique déjà oubliée, mais sur une question de fond qui demeure.

4 Réponses to “Les deux pôles de l’action culturelle publique”

  1. aimable said

    Voilà qui devrait vous ravir, DL – vous qui répétez depuis tant d’années que les bibliothèques doivent être de leur temps et « prescrire ce qui est attrayant » (je vous cite) :

    http://www.livreshebdo.fr/actualites/DetailsActuRub.aspx?id=7042

    Bonne lecture.

    Aimable

    • Désolé de vous décevoir, je me situe toujours du point de vue des politiques publiques (cela me semble clair dans cet article sur les politiques culturelles) et serais à Toronto du côté de ceux qui protestent.

      M. Aimable a besoin de croire que je défends des positions qui ne sont pas les miennes, pour se forger un ennemi cohérent à ses yeux.
      Voir par exemple ma référence à l’intérêt public dans la conclusion de http://www.lahary.fr/pro/2010/BIBLIOtheques53-google.htm.

      Pour ceux qui ne prendraient pas le temps de suivre le lien : « Le projet, envisagé par la mairie, de confier la gestion du réseau de lecture publique à une société privée américaine soulève une vague de protestation parmi les professionnels ».

      Merci donc à Aimable, même si c’est par le biais d’une attaque inutile, d’attirer l’attention sur cet événement.
      Pour en savoir plus :

      et en anglais :

      • aimable said

        Lorsqu’on est critiqué, la principale difficulté est d’entendre le point de vue de l’autre. Comme c’est toujours désagréable, on préfère renvoyer le contradicteur à ses propres contradictions ou à ses insuffisances. Vous n’échappez pas à la règle, DL.

        Dans mon court message, je ne visais pas de votre obsession des « politiques publiques » (qui d’ailleurs ne vont pas forcément dans le sens de la défense du du secteur public – on le voit aujourd’hui) mais l’argument du brand new boss de la bib de Toronto pour justifier l’existence de l’équipement. Cet argument est le vôtre (pour une fois, relisez-vous), et celui des idéologues libéraux (voir, à ce sujet, les niaiseries poissenotiennes publiées sur la page de LivreHebdo – Poissenot dont l’ultime sortie surpasse en connerie tout ce qu’il a produit jusqu’ici : jusqu’où ira-t-il ?).

        La seule différence entre vous le canadien, c’est l’assomption des valeurs libérales : lui n’y va pas par quatre chemins ; vous, vous avez des scrupules de chochotte : vous êtes pour l’indexation des politiques d’acquisition sur les pratiques du marché, mais vous repoussez incessamment votre coming out libéral ; vous être pour l’ouverture des bibs le dimanche, mais vous ne faites pas le lien (comme JFJ, un autre grand esprit, celui-là) avec la destruction programmée du droit du travail – ce compromis de classe édifié tout au long du 20è siècle pour tempérer la violence de la gestion capitaliste des sociétés industrielles).

        Enfin, voilà, j’arrête, parce que je sens que je vous fais chier – et ce n’est pas mon iintention.

        Aimable.

  2. Non vous ne me faites pas chier. Quand c’est le cas je ne vous réponds pas tout simplement. J’ai même été content d’avoir l’info sur le projet de privatisation de la bibliothèque publique de Toronto.
    >Lorsqu’on est critiqué, la principale difficulté est d’entendre le point de vue de l’autre
    J’accepte la formule mais vous la retourne.

    Vous avez lu que le dirigeant de la société candidate pour gérer la bibliothèque de Toronto (et qui a repris plusieurs bibliothèques publiques étatsuniennes) déclare sue le principe de base étant l’efficacité maximum. « Les livres qui ne sont pas empruntés sont remplacés par des livres qui le sont », indique notamment le directeur exécutif de LSSI. Je vous renvoie à mon (seul) article sur la politique documentaire, que je ne renie en rien : Pour une bibliothèque polyvalente : à propos des best-sellers en bibliothèque publique (Bulletin d’informations de l’ABF n°189, 2000). Polyvalente, pas univalente. Ceci a un rapport avec cet autre texte : Pour une approche économe de l’accès au document : longue traîne de réseautage, Congrès de l’AIFBD, Montréal, 3-6 août 2008.
    Mais je dis aussi qu’on se trompe à ne voir dans la bibliothèque qu’une fonction documentaire : voyez mon billet Une bibliothèque ça ne sert (plus) à rien.
    Voilà pourquoi je ne ferais aucune confiance à une société privée pour gérer une bibliothèque publique : elle saurait rechercher un objectif simple (prêter le plus possible par exemple), pas de gérer un outil d’une politique publique dans sa complexité. C’est cette complexité que vous appelez chochotte. Libre vous, libre à moi m’en ficher. Quant à votre qualificatif de « libéral », je l’accepterais volontiers outre-Atlantique, mais ici il est chargé de trop de confusions et d’amalgames.
    Vous avez raison, il y a plusieurs politiques publiques, celles de la municipalité de Toronto vis-à-vis des bibliothèques en est une. Que je ne partage guère, pas plus que les grossières remarques d’un conseiller municipal sur l’écrivaine Margareth Atwood qui lutte contre ce projet.

    Un mot du dimanche : c’est une des modalités parmi d’autres, utile selon la situation, de l’ouverture des bibliothèques. Des bibliothèques peuvent être ouvertes comme le sont bien d’autre équipements culturels ou de loisir, les services de transports, des cafés et restaurants, ce qui réclame des conditions de rémunération ou de récupération qui peuvent être négociées.

    Je n’ai aucun coming out à faire sauf dans votre système de pensée. Mais assez de ce sujet personnel qui n’a aucun intérêt en soi. C’est bien parce que nous sommes au cœur de l’été. Je n’y reviendrai pas.

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