S’ouvrir au temps
Posted by Dominique Lahary sur 10 décembre 2007
Le 5 décembre j’ai été invité à modérer un atelier sur le thème Nouvelles mobilités, nouveaux rythmes : quels enjeux pour les services publics de la culture ? aux entretiens territoriaux de Strasbourg.
Le site www.inet-ets.net en publiera la synthèse en février 2008. Alain Lefebvre, Professeur émérite de géographie à l’université de Toulouse-Le Mirail, et Jean-Pascal Quilès, Directeur adjoint de l’Observatoire national des politiques culturelles, ont développé les notions de territoire et de mobilité et et Jocelyne Bougeard, adjointe au maire de Rennes, a fait part de son expérience d’élus engagée dans le mouvement des bureaux du temps.
Je livre ici mon introduction qui était un simple témoignage de bibliothécaire. La question des horaires demeure, globalement, un point noir des bibliothèques publiques françaises. J’en veux pour dernier témoignage l’avalanche de réactions à l’utile billet (merci à Claudine Belayche de l’avoir signalé sur biblio-fr) de Françoise Benhamou La grande misère des bibliothèques françaises publiée le 8 décembre dans le blog qu’elle tient sur Rue89, et qui ne portent pratiquement que sur cette question.
Une question de moyens ? Certes mais pas seulement. La bibliothèque ne s’ouvrira pas sans s’ouvrir : à une conception différente de ce qu’il est nécessaire de faire dans une bibliothèque, à une conception différente des équipes de bibliothèques, avec d’indispensables vacataires.
Dans Livres-Hebdo du 2 juin 2006, j’écrivais dans mes Réponses à Eugène Morel : «Pour sortir de la bibliothèque pour habitués, il ne faut pas seulement la gratuité, il faut aussi des heures d’ouverture identiques chaque jour, larges, y compris le midi et le week-end. Il y a de moins en moins de cafés : qu’il reste les bibliothèques, au moins.» Je persiste évidemment et constate avec plaisir que ce dossier progresse ici et là.
[lire ce billet de Bibliothèque = Public, rédigé dans le contexte des bibliothèques universitaires]
nicomo said
J’ai été frappé lors d’une visite récente à la bibliothèque publique d’Amsterdam, qui est ouverte tous les jours du lundi au dimanche inclus de 10h du matin à 10h du soir, soit 84h hebdo, du peu de personnel qu’on voyait dans les espaces. Ils ouvraient visiblement avec, proportionnellement à la taille du bâtiment, peu de monde.
Parmi les raisons possibles (non exclusives – et il s’agit là d’hypothèses, bien sûr, je n’ai aucun élément concret à mettre en avant en soutien de l’une ou l’autre):
* un peu de technique: robots RFID sans banque de prêt
* mise en avant, non seulement verbale mais aussi réelle, de l’autonomie du lecteur, qui fait qu’il n’a pas nécessairement besoin de tout ce personnel pour l’aider
* relations sociales dans la bibliothèque qui permettent une négociation apaisée où chacun peut trouver un intérêt à ce type de fonctionnement (?)
* gestion interne plus rationnelle, qui dégage du temps pour le fonctionnement en service public?
* gestion des espaces publics plus rationnelle: par exemple si vous bridez internet ou que vous limitez le temps d’usage des postes à 30mn, il faut quelqu’un sur place pour gérer ça; si vous « ouvrez » le service, besoin de personne.
Donc je serais assez d’accord avec la formule selon laquelle la bibliothèque doit, pour ouvrir plus, s’ouvrir plus. Mais à la fin des fins, il y a une raison qui prime toutes les autres: le manque de volonté des bibliothécaires sur ce dossier.
Dominique Lahary said
Tout à fait d’accord avec tes remarques. je renvoie les lecteurs de ce blog à ces deux billets du tien :
bibliothèque publique d’Amsterdam et Amsterdam – photos et bureau de renseignement
Pitseleh said
« * mise en avant, non seulement verbale mais aussi réelle, de l’autonomie du lecteur, qui fait qu’il n’a pas nécessairement besoin de tout ce personnel pour l’aider »
Peut-être est-ce une question de culture, mais dans la plupart des structures que j’ai fréquenté une partie majeure des usagers n’était pas autonome et préférait recourrir au personnel pour ses recherches et autres questions. Les mêmes devriendraient-ils plus autonomes si aucun agent n’était disponible pour leur répondre ? Fort possible. Ou ne reviendraient-ils plus ? Possible également.
« * gestion des espaces publics plus rationnelle: par exemple si vous bridez internet ou que vous limitez le temps d’usage des postes à 30mn, il faut quelqu’un sur place pour gérer ça; si vous “ouvrez” le service, besoin de personne. »
Sauf à disposer d’un parc informatique d’envergure (ce qui est logiquement le cas de la bibliothèque publique d’Amsterdam), un service « ouvert » (sans limitation) court un risque d’engorgement qui peut entrainer des tensions parmi les usagers (phénomène que j’ai hélas constaté). Là encore les mentalités sont à faire évoluer pour faire fonctionner cette initiative, par exemple : « plus de limitation, pas besoin de réservation, mais acceptez de faire la queue ».
Un des problèmes des bibliothèques françaises aujourd’hui est de devoir élargir les services offerts, nécessairement élargir les plages d’ouverture en assurant leurs missions traditionnelles… tout en réduisant leur personnel. L’article de Françoise Benhamou est intéressant, dans le sens où il est excessivement rare de voir l’attention se tourner vers les bibliothèques. Il est également navrant pour ses raccourcis et le manque évident de connaissances de l’auteur sur le sujet.
Dominique Lahary said
Bien sûr, il ne faut pas aller jusqu’au « zéro personne en vue » comme dans certains magasin. Pour le prêt, deux positions se justifient: banque + bornes ou bornes seules, mais dans tous les cas les gens doivent pouvoir s’adresser à quelqu’un.
Moyens ? Oui mais ce ne doit pas être une raison de ne pas interroger l’organisation interne. Pourquoi, à personnel égal, ouvrirait-on moins en France ?
Quant au personnel je ne suis pas le dernier à lutter pour le maintien d’une formation professionnelle digne de ce nom. Cela n’empêche pas de recourir à des vacataires.
Pitseleh said
Je précise que je ne combats absolument pas le principe d’utiliser des vacataires en bibliothèques. Travailler moi-même dans une structure ouverte plus de 45h par semaine dont le dimanche, je constate toutefois les abus que ce procédé peut entrainer lorsqu’il est perverti (petit exposé / billet d’humeur ici : http://discobloguons.blogspot.com/2007/11/jai-test-pour-vous-la-rduction-du.html ).
Sophie said
« la bibliothèque doit, pour ouvrir plus, s’ouvrir plus. Mais à la fin des fins, il y a une raison qui prime toutes les autres: le manque de volonté des bibliothécaires sur ce dossier. »
Je ne suis pas tout a fait d’accord, avant même de mettre en avant un manque de volonté de la part des bibliothécaires, il y a un autre frein important qui est l’ignorance, l’ignorance des interrogations, des débats, en cours parce que toutes les bibliothèques n’ont pas encore accès aux nouveaux supports de l’information véhiculés par le net, c’est la un frein essentiel,comme partout l’inconnu fait peur et c’est humain, surtout quand il remet en cause des pratiques centenaires. Comment s’ouvrir plus sans l’apport de nouveaux éléments essentiels à la connaissance ?
Le succès des journées d’étude diverses sur internet et autres, me font plutôt penser que les bibliothécaires ont envie de s’ouvrir, d’en savoir plus, de comprendre, mais ne savent pas comment s’y prendre.
Et la possibilité d’innover reste très limitée dans nos structures…
Pitseleh said
Bonsoir,
J’ai une question qui concerne un service réclamé par de plus en plus d’usagers : l’envoi automatique d’un e-mail quelques jours avant la fin du prêt pour avertir de l’échéance prochaine de ce dernier. Avec ce type de procédé (sans doute fort pratique au demeurant), va-t-on vraiment dans le sens d’une progression de l’autonomie du lecteur ? Sans vouloir faire de mauvais esprit, j’ai parfois l’impression que certains accepteraient volontiers que l’on lise à leur place les livres qu’ils empruntent afin de leur faire gagner du temps.
Dominique Lahary said
En réponse à Sophie : Bien sûr, chacun n’est pas en situation de proposer et de mettre en oeuvre des décisions. C’est un problème collectif.
A Pitseleh : pour répondre à votre interrogation, mettons-nous à la place d’un usager – que je suis aussi et vous probablement. Une alerte par mél ? Mais ce serait pratique bien sûr. Du temps du prêt manuel, on tamponnait de la date de retour la fiche « à retourner ». Aujourd’hui on met au mieux un signet tamponné à disposition. Du temps de la gestion manuelle, on passait un temps fou à établir à la main des lettres de rappel après le délai passé. Le rappel avant terme, pourquoi pas ? Bien sûr ce n’est pas de l’autonomie, c’est plutôt l’inverse, mais ça a un rapport avec le temps, thème de ce billet : le temps de chercher la date de retour (on n’a pas que ça dans la vie à gérer, les documents de la bibliothèque), le temps de lire ou écouter, le temps de rendre, le temps que le document redevienne disponible pour un autre usager. Ce peut être pratique et efficace. J’imagine un SIGB permettant de choisir pour chaque usager une gestion des rappels par mél, SMS ou courrier postal.
Anonyme said
« lutter pour le maintien d’une formation professionnelle digne de ce nom. » : En programmant des journées sur le manga, par exemple ? (Oui, bien sûr, je suis de mauvaise foi, car vous n’organisez pas que des événements sans intérêt.)
« Nouvelles mobilités, nouveaux rythmes » : Les anciens se souviendront qu’au début des années 1980, cette logomachie distinguait les idéologues libéraux. On se rappelle également du réel qu’elle travestissait : restructurations, précarisation etc.
Enfin, il est étonnant que les thuriféraires des bibliothèques bataves « oublient » certains détails de leur fonctionnement : dans certaines, chaque document emprunté est facturé (ex. bibliothèque d’Almelo). C’est sans doute cela qu’on appelle la « valeur ajoutée ».