Désherbage, partage et conservation
Posted by Dominique Lahary sur 11 janvier 2008
Dans son édition du 9 janvier 2008, Le Monde, sous le titre Au conseil municipal de Bordeaux : poésie administrative, désherbage et désinfection, plaint le pauvre conseiller municipal de Bordeaux réduit a supporter d’interminable séances pour délibérer de broutilles. Parmi celles citées, il y avait effectivement «les opérations de désherbage à la bibliothèque municipale (destruction d’ouvrages périmés ou en mauvais état, soit 2 90 documents pour 2007)».
Voici une version soft de l’ironie ou de l’incompréhension que suscite généralement le désherbage à l’extérieur de notre profession. J’ai été responsable du lancement d’un débat sur biblio-fr, que j’ai fini par nourrir le 17 septembre d’un texte intitulé Désherbage.
Deux message critiques (vive le débat contradictoire !) m’ont paru passer à côté des questions que je posais.
Mon premier contradicteur faisait mine de croire que ma défense de la rotation des fonds, contre le fétichisme de la fixité de la collection locale, n’était qu’une défense corporative de la maison BDP, et d’en dresser une caricature. Là n’était pas mon propos. Je maintiens que le public gagnerait à des fonds plus mobiles et donc davantage mutualisés.
Mon second contradicteur, Bruno David, s’est plus a filer la métaphore au-dessous de la ceinture avec un texte qui, remanié, a constitué le numéro 01 de la nouvelle rubrique Blanc-seing du site Bibliofrance (que je salue pour son utilité) : La conception scatologique de la lecture publique.
L’auteur, qui qualifie de dogme les positions qu’il ne partage pas, ce qui peut lui être aisément retourné, me fait passer pour un éliminateur forcené, montrant par là qu’il a surtout éliminé le sens de mon texte (ce qu’il avoue indirectement dans une note : «On trouve dans le texte de D. Lahary une idée intéressante, celle de conservation partagée, mais elle est sans rapport, voire en contradiction avec le reste»).
Si j’ai réexprimé avec vigueur la nécessité absolue de l’élimination régulière des rayons en libre accès de ce qui les encombre, si je persiste à mettre en cause le fétichisme de l’objet livre et de la collection locale, je terminais très délibérément mon texte par un éloge des nécessités de la conservation. je proposais même d’étendre cette conception au-delà de la conservation patrimoniale, bien connu et évidemment essentielle : j’en appelais à une politique de conservation grand public propre à maintenir un haut nouveau de disponibilité des titres, grâce à une mutualisation de l’élimination et du stockage, à l’exemple de la réserve centrale de la ville de Paris.
Dans la logique de la longue traîne ! Je persiste. Désherbage et conservation gagneront à être pensés ensemble. Grâce à la mutualisation.
liberlibri said
C’est précisément le thème d’une des journées d’étude de Mediadix pour 2008. Comme quoi le sujet est plus que jamais d’actualité…
Pitseleh said
Une bonne réserve, il n’y a que ça de vrai.
Même si cette « rétrogradation » est (hélas) souvent synonyme d’enterrement définitif pour bon nombre de documents, et ce même avec des notices ultra détaillées.
AM said
Ah le désherbage. C’est toujours un sujet tabou et il faut prendre des pincettes avant d’en parler même si on essaie d’adopter un ton léger, voire même un peu d’humour… Je l’ai appris à mes dépends. Et pourtant, c’est une opération de gestion des collections indispensable, d’autant plus lorsqu’elle est couplée avec une politique de conservation afin d’offrir en libre accès des fonds de qualité et à jour pour nos lecteurs.
Yvonnic said
Je ne comprends pas votre entêtement à mélanger deux choses qui n’ont pas necessairement de lien direct. B. David avait au moins raison sur un point : la notion de conservation partagée est sans rapport automatique avec le desherbage. Ni avec la mutualisation systématique. Par contre il n’y a évidemment pas contradiction entre ces concepts.
Beaucoup de collègues, s’ils en ont les moyens en termes de surface, pratiquent de fait un désherbage (au sens d’élimination physique) assez minimal ,mais une mise en réserve importante. Une « réserve active » bien gérée allie l’avantage de la conservation ‘grand public » d’ouvrages toujours disponibles sur demande et le necessaire dépoussierage des rayonnages en accès direct.Dailleurs, que faisons nous avec les périodiques ?
Sans vouloir être désobligeant, je crois que dans cette polémique du mois de septembre,vous avez commis la maladresse d’agresser la profession de façon trop globale quant aux solutions proposées et trop brutale quant aux termes utilisés.
A sujet tabou, propos modérés.
Les bibliothécaires des petites et moyennes structures ont déja assez de questionnements , de doutes, et, j’y insiste, de problemes souvent purement materiels, pour accepter que l’on puisse qualifier de fétichisme un attachement patrimonial à des fonds souvent constitués de haute lutte.Il faut savoir d’où l’on parle et à qui l’on s’adresse.
Ces débats m’ont aussi laissé une certaine gêne, l’impression qu’on ne parlait pas beaucoup des moyens, des riches et des pauvres en somme. Le désherbage n’est pas un sujet tabou pour tout le monde. Il est presque automatisé, informatique aidant, dans les grosses bibliothèques et cela ne crée pas beaucoup d’états d’âme aux agents qui s’en chargent.Anonymat gage d’efficacité.
Et si le petit pincement au coeur, si stigmatisé et ridiculisé dans ces récents débats,était aussi un gage de qualité de motivation ?
Rassurez-vous, le temps travaille pour vous. Les futurs cadres des bibliothèques, formés en cinq jours, n’auront probablement pas ces soucis.Valeureux gestionnaires.
Et puis le désherbage, cela se pratique aussi ,en quelque sorte AVANT l’acquisition. Ceux qui avaient les moyens ( et qui y ont vu une necessité) d’acquérir massivement la hideuse et massive cohorte d’ ouvrages-kleenex de « politique » qui ont émaillé la campagne 2007 (et ça continue, le public se jette desssus),savaient parfaitement que l’immense majorité de cette production pouvait passer au pilon trois mois après ‘acquisition.
En cette matière le vrai tabou c’est la disparité des moyens ET des politiques d’acquisition, les uns entrainant aussi les autres. Et je trouve qu’on n’en parle pas énormément…
Si un collègue a pu acquérir péniblement, sur plusieurs années, quelques ouvrages d’art très coûteux, par exemple, que croyez-vous qu’il ressentira quand la cloche de « la Norme » retentira (pas d’ouvrage de plus de 10 ans dans la bibliothèque, par exemple comme en Belgique je crois)? Que lui reste-t’il comme alternative: je jette et j’en demande un plus récent à la BDP du coin ?
Les BDP, tout ce qui reste aux pauvres.(C’est pour cela qu’elles furent créées, non?).
Psychologiquement, ça ne passe et ne passera pas.
Et chez beaucoup d’élus non plus, figurez vous.
Souvenez-vous que parlez d’abandon à des gens qui essaient juste de se payer un billet de seconde classe, histoire de le prendre AUSSI, le train.
David Liziard said
« on ne parlait pas beaucoup des moyens »
C’est juste !
Pour information le Mémento du bibliothécaire de l’ABF conseille, pour une accessibilité et un renouvellement optimal, de garder en accès direct pas plus de 10 fois le nombre de documents que l’on peut acheter en un an.
Cela bien sûr ne concerne pas les réserves et les fonds patrimoniaux, mais les documents en prêt quotidien au grand public.
Dominique Lahary said
Bonjour.
Je respecte votre colère (il semble y avoir de la colère sous votre plume) mais ne partage rien de vos propos. Vous vous faites le défenseur des « petits » mais ne parlez que du personnel des bibliothèques. C’est de ce point de vue que je propose toujours de ne pas commencer, pour me placer du point de vue du public et des politiques publiques.
J’ai le plus grand respect pour les bibliothécaires de toutes sortes pris individuellement et prends garde de ne blesser personne personnellement. Cela n’empêche pas de mener le débat d’idées. Je n’avais nulle intention « d’agresser la profession de façon globale » même si j’ai conscience de toucher un point sensible. Mais ce qui compte ce n’est pas l’intention mais le résultat. Si le débat progresse, tant mieux. S’il se bloque sur des questions de forme, c’est dommage.
Quoiqu’il en soit, ce que vous écrivez me confirme dans l’idée qu’il y a bien des oppositions de fond. Nous ne voyons pas les choses de la même façon et je persiste dans ma mise en cause de ce que je peux appeler, soi vous préférez, le «patrimonialisme local». C’est une proposition prospective, non une condamnation personnelle des efforts estimables des uns et des autres. Je vous rassurerai sur un point : affectivement, je peux avoir du mal avec le désherbage. Mais je le défends rationnellement.
Yvonnic said
Je discerne surtout une once de paternalisme et une touche de mépris dans votre réponse qui ne me repond sur aucun sujet de fonds (les reserves actives, les disparités de moyens qui influent sur les politiques d’acquisition…).
Oui, je parle des personnels car ils sont la base de toute la qualité de service qui sera ou non rendue aux publics.Et cette qualité dépend énormément de leurs conditions de travail.
J’ai relu tous les messages Biblio.fr sur le désherbage. Effectivement ce fut chaud. On y remarque deux choses : l’intervention d’une personne non-bibliothécaire, à qui il semble qu’on fasse bien mauvais accueil. Alors que c’est aussi l’irruption d’une voix nouvelle dans le débat monopolistique des bibliothecaires sur la profession. D’autre part j’ai constaté que c’est B. Majour qui a clôt le debat en 2 interventions des 12 et 13 octobre, avec l’esprit de synthese et surtout la modération qui lui est coutumière. Un « petit » également.Son intervention n’a suscité aucune polémique.Il défendait pourtant le meme avis que vous.
Ce que je cherche à vous dire, en restant correct,c’est que pour « la base », votre discours (de vous et des vôtres,j’entends), est, dès qu’il s’agit du quotidien des petites équipes et petites structures, souvent inaudible, lointain et finalement, technocratique.Et c’est d’autant plus dommage que vous êtes en grande partie à leur service. C’est tout.
J’ose le dire :J’ai été « Lahariste » (ça se dit,je l’ai entendu ailleurs). Séduit sans doute, car votre discours séduit souvent par des prises de position souvent assez décalées, au moins par rapport à celui,plus convenu, de vos collègues.
« au moins un qui nous comprend ». C’est ce qu’on se dit souvent dans ces cas là. Et puis le désenchantement est venu. Sur ce plan. Car je continue à apprecier nombre de vos textes.
Mais, bon, c’est plus ça. Emouvant, non ?
Dominique Lahary said
Désolé de vous sembler paternaliste. Ce n’était nullement mon intention mais je suis contre la morale de l’intention. Donc j’en prend acte.
La disparité de moyen qui influent sur les politiques d’acquisition ? Oui, bien sûr, cela existe. Je ne vois pas en quoi cette réalité est opposable à mon propos.
« Je parle des personnels car ils sont la base de toute la qualité de service qui sera ou non rendue aux publics.Et cette qualité dépend énormément de leurs conditions de travail. » J’en suis bien d’accord. Mais il n’y a pas que ça. On peut avoir de bonnes conditions de travail et ne pas rendre un service efficace. C’est une conditon nécessaire, pas suffisante.
Discours inaudible, technocratique ? Puisque vous le dites, il l’est pour vous et sans doute pour d’autres. Là encore j’en prends acte. Mais je pense que nous ne débattons pas seulement sur la forme (de mes propos qui seraient vécus comme méprisants, etc.) mais sur le fond.
Je n’aime pas trop les « -ismes ». Ce que vous me dites à la fin est donc une bonne nouvelle, non ?