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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

Avec Francis Lacassin contre les classements

Posted by Dominique Lahary sur 28 août 2008

Nous continuons la rubrique nécrologique avec la disparition de l’inlassable défenseur de certaines littératures, Francis Lacassin.

Dans son article du Monde du 16 août, Patrick Léchichian le cite : « J’aime autant Le Mystérieux docteur Cornélius, de Gustave Lerouge (l’un de ses auteurs fétiches) qu’A la recherche du temps perdu. Il ne faut pas établir d’échelles de valeur entre la « grande » et la « petite » littérature. Les classements sont faits pour les bibliothécaires. »

Acceptons cette pique. Je me souviens pourtant avoir été sensibilisé à ce qu’on s’appelait alors la « paralittérature » en préparant le CAFB en 1976-1977.

Mais cette expression-même indiquait une hiérarchie, un jugement de valeur. Nous savons bien que certains genres mettent du temps à accéder à la légitimité culturelle, et les bibliothèques peuvent être un des lieux de conquête.

Mon hypothèse est que les mauvais genres accèdent à la légitimité culturelle au prix de la dénonciation en leur sein des mauvais livres (ou ce qui revient au même de la mise en valeur des bons) : l’échelle de valeur est transférée des genres aux titres.

Je ne suis pas en train de dire que tout se vaut, il n’est personne pour qui tout se vaille et c’est tant mieux. Mais que tout système de légitimation produit de l’exclusion. Pour le meilleur et pour le pire. Et qu’aucun ne peut se prévaloir d’une légitimité absolue.

Merci à Francis Lacassin d’avoir brouillé les pistes et promu de mauvais genres, sinon de mauvais livres.

16 Réponses to “Avec Francis Lacassin contre les classements”

  1. MxSz, bibliothécaire démocrate qui se tate said

    On en revient donc à la phrase fameuse qui a enflammé biblio.fr pendant des mois : vous êtes un « bibliothécaire démocrate ».

    j’aurais en ce sens deux questions :

    – pourriez-vous proposer une définition du « bibliothécaire démocrate » ?

    – que pensez-vous des prises de position de JL Gautier-Gentès dans Une république documentaire et, plus précisément, dans son avant-propos ? Ou encore, pour prendre un exemple récent, des messages sur les dons de Ron Hubbard (Eglise de scientologie) à des BM, là encore sur biblio.fr ?

    Merci

  2. Anonyme said

    Une définition possible : le « bibliothécaire démocrate », c’est celui qui censure la propagande de l’église de scientologie mais encourage celle du management.
    Variante : c’est celui qui autorise l’expression de toutes les sensibilités de la presse de droite (« l’Humanité » compris), mais interdit les journaux de gauche.

  3. MxSz, bibliothécaire démocrate qui se tate said

    Je sens l’anonyme d’humeur taquine.
    D’humeur un peu « troll », même.
    I.e à bien pourrir une discussion avant même qu’elle ne commence.
    Je suppose que le prochain commentaire comportera un des mots suivants (entourer la bonne occurrence) : « totalitarisme », « Hitler », « Ayatollah », « stalinien », etc.
    Mais bon, c’est la règle du commentaire.
    Alors, dans le genre question/réponse: c’est quoi un « journal de gauche » ?

  4. Anonyme said

    « Je suppose que le prochain commentaire comportera un des mots suivants (entourer la bonne occurrence) : “totalitarisme”, “Hitler”, “Ayatollah”, “stalinien”, etc. »
    C’est ça le problème de la profession : elle possède les réponses avant de se poser les questions

  5. MxSz, bibliothécaire démocrate qui se tate said

    Ok, dont acte.
    Sinon, c’est quoi un journal de gauche ?
    Et, pour en revenir à ma question initiale : c’est quoi un bibliothécaire démocrate ?

  6. Anonyme said

    « Bibliothécaire démocrate » : expression post-moderne. Désigne le professionnel des bibliothèques qui pose une équivalence entre démocratie et marché. Dans ce contexte, être démocrate, c’est proposer aux « usagers », sans discrimination ni jugement, tout ce que produit l’industrie des biens culturels.
    « Journal de gauche » : par exemple, « Le Plan B ».

  7. Au « démocrate qui se tâte » j’ai envie de répondre « Et vous ? » Car je me tâte aussi, bien sûr, et ne suis pas sûr d’être à 100% « bibliothécaire démocrate ».

    Mais je vais reprendre ici une citation que j’ai souvent faite lors d’interventions, par un des tenants, dans les années 1960 et 1970, de la bibliothèque de secteur (voir mon article « La bibliothèque de secteur (1967-1988) : quand s’imaginait un réseau national de lecture publique » dans BIBLIOthèque(s) n°28, juin 2006, ) :

    Ou bien la bibliothèque est considérée comme une institution éducative contenant des ouvrages qui procurent aux lecteurs information et récréation, mais une récréation associée à une certaine dose d’imagination créatrice. La collection comprendra alors seulement des livres qui d’une manière ou d’une autre tendent au développement et à l’enrichissement de la vie. Ou bien la bibliothèque est considérée comme une institution démocratique dont les charges incombent à la communauté, chacun de ses membres pouvant prétendre y trouver ce qu’il souhaite lire. Il va sans dire que le bibliothécaire choisit et établit un certain compromis, et sa clientèle sera précisément le reflet de ce compromis. « 

    Et d’ajouter :

     » Je penche personnellement pour la bibliothèque institution démocratique. « 
    Michel Bouvy,  » Démocratie et choix des livres « , in : Médiathèques publiques n°51, [décembre] 1979.

    Voilà une assez bonne définition du bibliothécaire démocrate, que en admet la limite en parlant de compromis. Mais ce compromis ne me plaisait pas. Je me suis efforcé de le dépasser dans « Pour une bibliothèque polyvalente : à propos des best-sellers en bibliothèque publique » in Bulletin d’informations de l’ABF n°189, 2000, qui est le seul article fouillé (issu de deux message à biblio-fr) que j’aie jamais écrit sur la politique documentaire : j’y professe au fond que la bibliothèque a une double mission, démocratique et éducative, pour reprendre les termes de Michel Bouvy, et que les deux peuvent être assumées sans complexe.

    L’Eglise de scientologie ? Le bibliothécaire fût-il démocrate n’a pas être naïf. J’ai connu l’envoi des œuvres de Kim Il Sung, les publications à la gloire de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, les livres sur le bouddhisme d’De Daisaku Ikeda, de la Sokka Gakaï. Voilà maintenant le créationnisme et la scientologie. Ces bons apôtres ne donnent rien, ils veulent instrumentaliser les bibliothèques, de même que tentent de le faire ces auteurs dont personne n’achètent les livres et qui pense par ce biais s’assurer trouver quelques lecteurs. Nous ne sommes pas là dans la politique de la demande mais dans la politique de l’offre menée par des entité extérieures à la collectivité qui gère le service public de bibliothèque.

    Jean-Luc Gautier Gentès ? J’apprécie hautement ses propos et ses écrits car ils donnent toujours à réfléchir et sont marqués du sceau de la rigueur intellectuelle Même si mon avis diffère parfois du sien, en particulier sur la question du pluralisme des collections, que je relativise (voir Longue traîne et réseautage). Ne remettant pas la main sur son ouvrage, j’en ai relu un des articles disponibles en ligne : « Extrémisme et consensus » in Les politiques d’acquisition en BDP :
    Actes des journées de l’ADBDP, Nîmes, 1999
    . Je l’approuve entièrement.

    Quand je m’occupais directement d’acquisitions, ce que j’ai cessé en 1992, je pratiquais le démocratisme sans le savoir, considérant notamment qu’il était de mon devoir de proposer ce que JLGG appelle des « publications extrémistes » ce qui avait valu à la bibliothèque municipale que je dirigeais alors une mention honorable dans les résultats de l’enquête stupide effectuée par le Front national à l’époque. Mais je n’en ai pas rougi.

    Je pense toutefois que les rayons strictement politiques sont peu de choses dans l’ensemble des collections d’une bibliothèque et que la question du pluralisme est loin de se réduire à cet aspect le plus facilement exprimable. Il faut aussi un pluralisme culturel, qui recoupe en partie ce qu’avec l’Unesco on appelle aujourd’hui « diversité culturelle ». Comme un chatoiement d’échelles de légitimité culturelle qui s’entrechoquent. Ce pluralisme est aussi celui des populations. Je tiens à cette phrase proposée dans mon article Pour une bibliothèque polyvalente : « Si quiconque entrant dans une bibliothèque n’y découvre rien de ce qui lui est déjà familier, alors il lui est signifié, j’ose dire avec violence, que cet endroit n’est pas pour lui. » La bibliothèque démocrate (elle n’a pas besoin pour cela de l’être à 100%) veille à ne pas infliger de violence symbolique, pour parler en sociologue. En d’autres termes, la bibliothèque démocrate ne se définit pas seulement en référence à ses collections, ni même aux autres activités qui peuvent s’y pratiquer, mais dans son rapport aux populations.

    Cela n’empêche pas de faire aussi de la prescription, ni d’opérer des refus – tout le texte de JLGG porte sur cette question : que refuser ? Pour ce faire, il me semble qu’on ne peut s’en tenir à une démarche documentaire mais qu’il faut faire intervenir la notion de responsabilité. Le seul livre qu’il me souvient d’avoir très délibérément refusé d’acheter (mais je me trompe, évidemment) est Suicide mode d’emploi de Claude Guillon et Yves le Bonniec, éd. Alain Moreau, 1982, nonobstant toute demande éventuelle. Le critère n’est pas ici le contenu du livre, appréhendé intellectuellement, mais son effet éventuel : la mort. C’est ce même critère d’effet que je revendique quand je prends en compte les fonctions de la lecture, tels qu’analysés dans un ouvrage comme Histoires de lecteurs par Gérard Mauger, Claude-F. Poliak e Bernard Pudal, Nathan, 1999 (Essais et recherches). On lit aussi pour se consoler, et ceci passe tout jugement sur la qualité littéraire ou la véracité des contenus.

  8. Anonyme said

    « Ou bien la bibliothèque est considérée comme une institution démocratique dont les charges incombent à la communauté, chacun de ses membres pouvant prétendre y trouver ce qu’il souhaite lire. Il va sans dire que le bibliothécaire choisit et établit un certain compromis, et sa clientèle sera précisément le reflet de ce compromis. » Vous voyez bien MxSz, je vous avais prévenu…

  9. MxSz said

    @ D. Lahary :

    Merci pour ces précisions.

    @ sardon anonyme :

    – dans votre définition du « bibliothécaire démocrate », vous indiquez : « Dans ce contexte, être démocrate, c’est proposer aux “usagers”, sans discrimination ni jugement, tout ce que produit l’industrie des biens culturels ». Mais selon votre propre définition, un « démocrate » n’emploierait pas le terme « usager ». Il ferait comme le directeur d’un grand SCD parisien que, par bonté d’âme, je ne citerai pas : il dirait « client », un mot « qui ne lui fait pas peur » et qu’il « assume » (source : une présentation dudit scd à l’enssib, quelque part en 2006).

    Or, si D. Lahary a employé le terme (dans une citation), je ne suis pas sûr qu’il le reprenne à son compte. Même si la relation (trouble) entre le « pluralisme culturel » et les biens produits par les « industries culturelles » demanderait à être explicitée.

    Une dernière question, sardon : qu’en est-il du Diplo, encensé sur le blog de D. Lahary dans un post précédent, mais où Rimbert, de PLPL, vient de déposer ses valises ? De gauche ou pas de gauche ? Tout ne serait-il pas noir ou blanc?

    Vous avez le choix:
    – soit soit de répondre en trois points à la question précédente, avec comme plan (B) imposé: thèse/antithèse/synthèse ;

    – soit d’abonner votre bibliothèque ici : http://www.cequilfautdetruire.org/spip.php?article1776. Les fins de mois y ont l’air plus difficile qu’au plan B, qui a les moyens de sous-traiter ses abonnements. Tant mieux pour eux. Et dommage pour le journalisme d’enquête et de critique tel qu’il se pratique chez CQFD.

    Sur ce, je retourne acheter des livres de management. Avec tout ça, j’ai pris du retard dans l’achat des dernières nouveautés en coaching.

  10. Yvonnic said

    « Si quiconque entrant dans une bibliothèque n’y découvre rien de ce qui lui est déjà familier, alors il lui est signifié, j’ose dire avec violence, que cet endroit n’est pas pour lui. ». Voilà une excellente formule que j’approuve à 100%, car je la considère comme validée par mon expérience personnelle de terrain. Par suite, il s’agit donc bien dans le « rapport aux populations » de définir clairement la demande d’y répondre. Soyons concrets. Et c’est là que le bât blesse. Nous continuons soit d’ignorer la demande en ne l’évaluant pas, soit de la considérer comme illégitime. Et dans les deux cas d’y substituer notre conception des choses. Il ne s’agit plus tant de définir ce qui attirera le lecteur et lui permettra de s’approprier le lieu, que de pointer résolument du doigt les livres qui, par leur absence, le feront fuir. En d’autres termes il ne s’agit pas de batailler sur ce que serait une politique d’acquisition « accueillante » mais de stigmatiser nettement les politiques d’acquisition « repoussantes ». Il est plus facile de définir l’élitisme que son contraire. Au besoin une évaluation de la demande publique doit aider le bibliothécaire réticent à savoir faire le deuil de ses choix souverains ! Après tout c’est fascinant la facilité qu’on trouve pour pointer l’index sur Ron Hubbard, pourquoi ne pas élargir le geste ? Plus difficile de définir l’élitisme que le sectarisme ? Certes.
    Après, il ne s’agira plus que de pointer du doigt les bibliothécaires réticents. Ils diminuent déja beaucoup devant le gouffre de leurs statistiques. La carotte et le bâton. On best-sellarise partout, on acquiert en double et triple exemplaire. Et c’est une bonne chose. Pas besoin d’être sociologue pour comprendre ça. Il suffit de tenir un bureau de prêt tous les jours.

  11. Anonyme said

    MxSz. (Je vous réponds un peu tard mais on ne peut pas être à la fois au four et au moulin – c’est-à-dire lire de vrais livres et se distraire sur un blog.)

    1. Je n’ai pas compris votre remarque au sujet de ma « définition ». Vous m’en voyez désolé, mais je ne peux pas répondre.

    2. Abonner ma bib. à « CQFDF » (j’ajouterais pour ma part d’autres titres pareillement intéressants) : vous n’y pensez pas ! Déjà que, chez nous, on n’ose pas s’abonner au « Canard enchaîné » (authentique !). Par contre, comme chez vous, on est au top question management, coaching, psychologie comportaliste et autres imbécilités étatsuniennes. Là-desssus, un seul ouvrage de Pierre Legendre (et encore : uniquement parce que j’ai terrorisé l’acquéreur).

  12. Un fan said

    Ceci dit à présent tu peux devenir directeur de BM.

  13. Anonyme said

    « Ceci dit à présent tu peux devenir directeur de BM. » : impossible, il y a trop de gimmicks (de « savoir-être », en novlangue) que je ne maîtrise pas : obséquiosité, veulerie, compétence en langue creuse (i.e. administrative et managériale), plus généralement le parler chef, etc. Sans parler de l’amour du pouvoir. De surcroît, je m’endors dans les réunions.

  14. Yvonnic said

    Anonyme et Un Fan sont dans un bateau. L’un des deux tombe à l’eau et le bateau est vide. Pourquoi ? Parce qu’anonyme était fan de lui-mème et qu’il naviguait en territoire sécurisé. Ici on ne censure pas, on tatoue. Merveille de la technique qui permet l’aboutissement hypocrite du politiquement correct et de la propreté morale. Censurer? Jamais, quelle horreur! Refuser l’anonyme ? Les temps ne sont pas encore venus et le bloggueur est rare. Mais badger, filtrer, ignorer, c’est tout de mème autre chose…
    La barque d’Anonyme dérive au fil de l’eau, vide, seule…

  15. Un fan said

    Bruno –> Quel type de poste vises-tu alors ?

  16. Anonyme said

    Celui que j’occupe !

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