Ce « rapport Warsmann », qui fait pendant au « rapport Lambert » sur Les relations entre l’État et les collectivités locales publié par Sénat, dresse un historique et un état des lieux de l’enchevêtrement de compétences entre collectivités territoriales et propose 10 principes :
1.La fin de la dérive des financements croisés (un seul niveau de collectivités locales pourrait participer au financement d’un projet conduit par une autre collectivité, sauf les communes peu peuplées ou aux faibles ressources).
2.La spécialisation de l’action des collectivités : attribuer 80 % des compétences des collectivités exclusivement à un niveau de collectivités.
3.La possibilité de transfert d’une compétence exclusive à un autre échelon territorial.
4.La réduction sur incitation financière du nombre de collectivités.
5.L’extension géographique de régions.
6.La fusion de régions avec des conseils généraux.
7.La création de métropoles en fusionnant conseil général et intercommunalité.
8.L’achèvement de l’intercommunalité.
9.La suppression des pays.
10.La création volontaire de collectivités uniques intercommunalité-communes.
Sur le plan institutionnel, le rapport ne propose pas une suppression uniforme d’un échelon mais un éventail de possibilités utilisées localement qui voue les départements à l’un des trois destins suivants, sans compter le statu quo :
1.l’aspiration par le haut (la région) ;
2.l’aspiration par le bas (l’agglomération)
3.la recomposition dans les espaces ruraux interstitiels.
Le premier destin entraînerait mécaniquement, sauf décision de suppression, la création de bibliothèques régionales : « de la BDP à la BRP ». Le second scellerait la disparition de la BDP ou sa fusion dans un réseau de bibliothèques d’agglomération existant ou à créer. Le troisième confirmerait la vocation spécifiquement rurale qui fut à l’origine des BCP, ancêtre des BDP, en 1945.
En application du principe n°2 (la spécialisation de l’action des collectivités, le rapport propose de « confier au seul département la en matière de bibliothèques et de musées, en devenant l’autorité gestionnaire unique de ces établissements, qu’ils relèvent actuellement de la région, du département ou de la commune. […] En effet, ces missions consistant à mettre en valeur et rendre accessible au grand public des biens culturels, présentent des points communs qui justifient qu’elles soient confiées à un échelon administratif restant proche des citoyens tout en disposant de moyens humains et financiers suffisants pour exercer des tâches parfois très techniques. »
La proposition, qui découle très logiquement de la théorie de la spécialisation des niveaux de collectivités, peut à première vue être convaincante. On en connaît d’ailleurs des exemples ; comme certains réseaux de bibliothèques de comté au Royaume-Uni ou le réseau unifié de la Province canadienne du Nouveau-Brunswick. Qu’attendre d’une telle intégration ? L’efficacité (grâce aux moyens mobilisés) et l’efficience (par une bonne utilisation des moyens que permettrait une gestion unifiée des bibliothèques à l’échelle d’un département).
Si l’on considère les bibliothèques comme des services dont la seule fonction est de diffuser des documents, on peut soutenir que plus on élargit l’échelle de gestion, plus on est efficace. Oui mais voilà, les bibliothèques ne sont pas seulement des machines à distribuer. Ce sont des établissements multifonctionnels, lieux d’accueil de pratiques diverses, individuelles et collectives, espaces de rencontre et d’animation, bref des outils qui peuvent se placer au croisement des politiques culturelles, éducatives et sociales locales. Si les bibliothèques sont gérées au niveau départemental, la collaboration avec les services communaux ou intercommunaux ne sera pas facile et les maires ou présidents d’intercommunalités risques de s’en désintéresser. Le problème se pose déjà dans le cas des bibliothèques intercommunales, que je défends malgré tout, il n’en serait qu’aggravé si elles étaient toutes départementales.
Départementaliser les bibliothèques, c’est renoncer à ce qu’elles soient enjeu et instrument des politiques locales pour les réduire à une fonction technique : le rapport Warsmann n’évoque pas par hasard « des tâches parfois très techniques. »
L’ADF (Assemblée des départements de France, qui est l’association des Présidents de Conseils généraux) vient d’adopter le 17 décembre 2008 une résolution unanime réclamant le maintien d’une clause générale de compétence. Il y est dénoncé « une spécialisation des départements dans leurs seules compétences sociales qui leur ferait perdre leur rôle de collectivités locales pour les transformer en simples agences de prestations pour le compte de l’Etat. » Même si l’on y adjoint la gestion des bibliothèques et des musées, nous demeurerions bien dans un rôle d’agence de prestation.
La résolution plaide pour l’organisation en « deux couples territoriaux » :
–celui constitué par les communes et leurs groupements et les départements, soit un bloc de collectivités liées par l’exercice de compétences de proximité,
–celui constitué par les régions et Etat, avec une dimension évidemment européenne.
Dans mon précédent billet sur le sujet, j’ai publié un schéma inspiré de ceux du rapport Lambert pour figurer l’enchevêtrement des financements en matière de bibliothèque.
Je reprends ci-dessous ce schéma en dégageant les deux couples préconisés par l’ADF : il me semble qu’ils fonctionnent. Toute réforme n’est pas souhaitable. Vu du petit bout de la lorgnette qu’est la seule question des bibliothèques, je conclus à l’utilité du statu quo. A charge pour les différents niveaux de collectivités de prendre leurs responsabilités et de développer des POLITIQUES.
Mes autres billets sur les projets de réforme territoriale :
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 8 : vers une coordination départements-régions ?, 24 novembre 2010
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 7 : le Sénat nous donne rendez-vous dans un an, 9 juillet 2010
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 6 : culture en morceaux, financements en lambeaux ?, 25 mai 2010
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 5 : les compétences culturelles dans une impasse… provisoire ?, 16 mai 2010
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 4 : épouser la reconfiguration des périmètres et des compétences, pour le meilleur et pour le pire ?, 2 septembre 2009
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 3 : Tout à l’intercommunalité et à la région ?, 11 février 2009
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 1 : Lecture publique à tous les étages, 13 novembre 2008
- L’Etat stratège et les autres : faut-il avoir la peau des départements ?, 9 octobre 2008).