Les travaux sur la réforme territoriale continuent :
- Site du comité pour la réforme des collectivités territoriales présidé par Edouard Balladur
- Dossier en ligne du Courrier des maires
- Dossier en ligne de la Gazette des communes, des départements et des régions
La région ?
J’ai rejeté dans mon billet précédent l’idée exprimée par le député Warsmann dans son rapport du 8 octobre 2008 de « confier au seul département la compétence en matière de bibliothèques. »
M. Warsmann propose explicitement de transférer au département les bibliothèques municipales… et régionales, celles dernières n’existant que dans imagination.
Mais voilà qu’une des hypothèses les plus sérieusement avancées en matière de réforme territoriale, y compris dans ce qui transpire de la commission Balladur, est la transformation des départements en sous-ensembles des régions, sans que le degré d’autonomie politique qui serait alors accordée aux départements apparaissent encore clairement (jusqu’ici la doctrine française repose sur l’absence de hiérarchie entre les différents niveaux de collectivités territoriales).
Si le département devait devenir un sous-ensemble de la région, selon des modalités dont le comité Balladur convient qui restent à éclaircir (« les départements resteraient-ils des collectivités territoriales à part entière ? deviendraient-ils des composantes des régions, tout en conservant la personnalité morale ? [ou] sans la personnalité morale ? »), on peut imaginer les hypothèses suivantes concernant l’avenir des bibliothèques départementales :
- statu quo : maintien de services départementaux distincts dépendants de chaque conseil général, sans instance de coordination ;
- création d’un service régional qui aurait un rôle de coordination et assumerait des tâches spécialisées sans avoir autorité sur chacune des bibliothèques départementales ;
- fusion des bibliothèques départementales de chaque région par création d’un service régional de lecture publique, éventuellement doté d’antennes départementales et/ou infradépartementales.
Chacune de ces trois hypothèses demeure compatible avec la poursuite du rôle actuellement assuré par les bibliothèques départementales, sachant que le maintien d’une relation de proximité avec les communes et intercommunalité est essentiel.
Ces perspectives m’inspirent deux remarques.
- Les trois hypothèses ci-dessus ressemblent étrangement aux différentes variantes de la gestion intercommunale de la lecture publique, qu’elles soient vues sous l’angle institutionnel (du transfert total à la collectivité intercommunale au maintien de la juxtaposition de bibliothèques uniquement communales) ou sous l’angle fonctionnel (de l’intégration totale des fonctionnement à l’autonomie fonctionnelle de chaque établissement). Autant dire que, sauf injonction politique évidemment légitime, l’intégration institutionnelle n’entraine pas mécaniquement l’intégration fonctionnelle et que, sur l’un et l’autre plan, entre le tout ou rien, il existe des degrés.
- Si la lecture publique devait être entraînée, par la force d’un mouvement général, vers une instance régionale, nous assisterions à la résurgence, cette fois assumée, de ce qu’en 2003 je nommais « l’introuvable échelon régional » dans Le développement territorial de la lecture publique : éléments de rétroprospective : des projets inaboutis (défendus par Georgette et Éric Grolier puis Pierre Lelièvre dans les années 1930, puis par les partisans de la bibliothèque de secteur dans les années 1960 et 1970, sans parler du rapport Pingaud-Barraud en 1982) à la création des agences régionales de coopération dans les années 1980.
Ce n’est évidemment pas à partir du cas de la lecture publique que sera reconfigurée, si elle doit l’être, l’organisation territoriale de la République, mais les travaux préparant cette réforme évoquent tous la définition des compétences de chaque collectivité. Or les BDP ne peuvent pas ne pas être évoqués puisqu’il s’agit d’une conférence obligatoire des départements, transférée par l’Etat en 1986. Ou bien cette compétence disparaît, ce qui n’est ni vraisemblable ni souhaitable, ou bien elle est confirmée et assignée au département maintenu ou à la Région.
J’observe simplement que les missions assumées par les départements sont bien identifiées tout en évoluant, tandis que la coopération régionale tend à prendre une tournure interprofessionnelle certes utile mais contionnée à des segments particuliers0. C’ets donc à partir de l’activité actuelle des BDP qu’une éventuelle recomposition peut s’opérer sans liquider les ‘acquis.
Enfin, si au jardin à la française est préféré un traitement au cas par cas, du moins dans certaines zones (cas particulier de l’Île-de-France, fusion des départements alsaciens, extension de la communauté lyonnaise a détriment du Rhône…), les BDP situées dans ces zones pourraient subir des sorts particuliers.
L’intercommunalité ?
L’échelle intercommunale, peu abordée dans les médias généralistes à propos de la réforme, en est pourtant un des enjeux majeurs puisque le comité Balladur se pose cette question radicale : « les communes (…] resteraient-elles des collectivités territoriales à part entière ? » ; « la clause de compétence générale devrait-elle être reconnue exclusivement aux intercommunalités ? »
Dès lors, de deux choses l’une :
- ou on en reste au laisser-faire actuel, ce qui, dans le domaine de la lecture publique, se traduit par une variété de modèles plus o u moins efficaces,
- ou la lecture publique est assignée par la loi, non aux départements comme le veut le député Jean-Paul Warsmann, mais aux intercommunalités.
Dans cette dernière hypothèse, une compétence intercommunale en matière de lecture publique couplée à une clause de compétence générale pourrait être un bon moyen, à la campagne comme dans les zones urbaines, pour tirer les réseaux de bibliothèques vers davantage d’efficacité sans les couper du nécessaire croisement avec les politiques sociales et éducatives.
Démocratie, clause de compétence générale et subsidiarité,
La recherche du meilleur niveau possible de gestion pour chaque compétence est une application du principe de subsidiarité.
Si on ne l’envisage que d’un point de vue technique, alors on isole chaque segment de l’action publique locale et l’on fait de chaque niveau de collectivité le gestionnaire technique de services délégués par l’Etat, qui deviendrait le seul stratège, comme je le suggérais dans mon premier billet de cette série.
Finalement, la subsidiarité n’est un élément de démocratie que si elle associe plusieurs compétences stratégiques, ou, dans le meilleur des cas, si elle est liée à une clause de compétence générale.
C’est pourquoi cette dernière, enjeu du véritable choix démocratique dans les élections locales, est un des enjeux essentiels de la réforme en cours de préparation. Les conseils généraux délibèrent d’ailleurs en ce moment pour exiger qu’elle leur soit maintenue.
En tant que système de diffusion, la lecture publique doit être efficace, ce qui plaide pour un échelon adéquat de gestion (intercommunalité, département ou région).
Mais la politique de développement de la lecture au sens large (étendue à l’écoute de musique et au visionnement de films) n’est pas seulement une affaire de diffusion : elle s’appuie sur des partenariats et des transversalités.
Et les lieux bibliothèques sont des creusets de services, pas seulement documentaires, qui se placent aux carrefour des diverses politiques locales.
Voilà pourquoi la lecture publique ne se portera bien qu’adossée à une clause de compétence la plus générale possible, aux différents niveaux où on voudra bien l’assigner (je plaide pour ma part pour l’intercommunalité et le département).
Puissent les bibliothèques de toutes natures s’inscrire dans une organisation territoriale de la République qui soit la plus démocratique possible, si tant est que, comme le proclame la Charte des bibliothèques du Conseil supérieur des bibliothèques « la bibliothèque est un service public nécessaire à l’exercice de la démocratie.»
Mes autres billets sur le projet de réforme territoriale :
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 8 : vers une coordination départements-régions ?, 24 novembre 2010
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 7 : le Sénat nous donne rendez-vous dans un an, 9 juillet 2010
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 6 : culture en morceaux, financements en lambeaux ?, 25 mai 2010
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 5 : les compétences culturelles dans une impasse… provisoire ?, 16 mai 2010
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 4 : épouser la reconfiguration des périmètres et des compétences, pour le meilleur et pour le pire ?, 2 septembre 2009
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 2 : Départementaliser les bibliothèques municipales ?, 31 décembre 2008
- Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 1 : Lecture publique à tous les étages, 13 novembre 2008
- L’Etat stratège et les autres : Faut-il avoir la peau des départements ?, 9 octobre 2008