Le projet de loi Création et Internet, dit Hadopi, dit Olivennes, dit DADVSI 2, est examiné depuis le 11 mars 2009 à l’Assemblée nationale, la discussion devant s’achever à la fin du mois. On peut suivre la séance en direct, lire après coup les comptes rendus et suivre le suivi de Kotkot.
Lors du débat national qui s’est développé durant la préparation puis le vite de la loi DADVSI du 1er août 2006, le sujet du téléchargement illicite, et singulièrement de la musique, avait écrasé tous les autres sujets pourtant contenu dans le projet. Les archivistes, bibliothécaires et documentalistes, réunis pour l’occasion dans une interassociation qui perdure, l’IABD avait eu du mal à faire passer dans la grande presse leur message. Il était cependant passé par d’autres canaux, et le site droitauteur.levillage.org en porte le souvenir. Ce combat a débouché sur des résultats partiels mais appréciables.
Pour ce projet-ci, le débat national est conforme à l’objet même du projet de loi puisqu’il ne s’agissait, pour le gouvernement, que de corriger l’inefficacité de la mesure antipiratage de la loi DADVSI en instituant une riposte graduée pouvant aboutir à une coupure de l’abonnement à Internet.
Et ce sont les archivistes, bibliothécaires et documentalistes qui ont joué les invités surprise en proposant un amendement qui vise à rectifier une des exceptions obtenues en 2006 : l’exception de reproduction pour conservation « ou pour préserver les conditions de la consultation sur place »… qui, n’étant pas assortie d’une autorisation de consultation, n’était guère applicable (voir ici l’explication)
Même si cette spécialisation de l’action peut être regrettée par d’estimables collègues, j’assume tout à fait que l’IABD joue sa partition particulière et se concentre sur un objectif qui est de sa responsabilité, fort de l’unanimité de ses 17 associations membres sur cette question, et cherche à favoriser au sein de la représentation nationale l’apparition d’une majorité d’idée (comme disait Edgar Faure) entre des parlementaires qui peuvent par ailleurs avoir des positions différentes sur d’autres questions. Ce qu’esquisse d’ores et déjà le dépôt d’amendements convergents par des députés communistes ou apparentés, socialistes, UMP et verts.
Cela n’empêche nullement certaines associations comme l’ABF, dont je suis un membre fidèle, et l’ADDNB de se prononcer contre le cœur du projet de loi. J’ai moi-même, à titre personnel, signé la pétition de SVM qui ne prône pas le téléchargement illicite mais critique la solution qui est proposée.
La loi DADVSI n’a pas atteint son objet. Elle était fondée sur la protection juridique des protections techniques, autrement appelées DRM, aujourd’hui mis en cause, du moins dans le domaine de la musique. Il est probable que cette loi-ci n’atteindra pas non plus son objet, dépassée qu’elle est par l’évolution des modes de diffusion et de partage, comme le streaming. L’accord interprofessionnel du 24 novembre 2007 qui a conclu la mission Olivennes comporte notamment l’engagement d’abandon sur les fichiers musicaux des DRM qui empêchent l’interopérabiblité.
Le projet de loi comporte de graves défauts, parmi lesquels :
- l’atteinte aux libertés individuelles par la surveillance des réseaux débouchant sur des sanctions prononcées par une autorité non judiciaire ;
- au libre accès à l’information et à la culture et institution d’une punition collective par la sanction de coupure d’accès internet frappant toute une famille, une communauté cohabitante ou même une collectivité ou entreprise sur une infraction perpétrée par un de ses membres.
« Ne faites pas ça ! » implorait le 11 mars au soir à la Tribune de l’Assemblée le député Nouveau centre Jean Dionis du Séjour, à propos de la sanction de coupure de l’abonnement.
Au total, les pratiques illicites vont continuer tandis qu’aucun système de rémunération de la création ne sera institué correspondant aux usages réels des œuvres à partir d’Internet.
Mais on lui reproche aussi de porter atteinte au principe de neutralité des réseaux, qui veut qu’on ne discrimine pas selon l’usage.. Sur ce principe, sur lequel Bibliobsession a attiré notre attention, je renvoie vers Wikipedia, l’Isoc France , World-Governance et le blog Ecrans d’Astrid Girardeau (Libération) .
Internet, transfiguré au début des années Web, est un gigantesque pavé dans la marre qui bouleverse totalement les conditions de production et de diffusion de l’information au sens large, faisant exploser les modèles économiques et leur réglage juridique. Le projet de loi discuté en ce moment à l’Assemblée nationale n’est que la modeste péripétie d’un séisme qui est loin d’être terminé.
Gardons nous cependant de savourer avec naïveté des bouleversement qui remettent en cause tous les intermédiaires, bibliothèques comprises. Partageant dans l’ensemble le diagnostic de Jeremy Rikkin dans L’Age de l’accès : la révolution de la nouvelle économie (La Découverte Poche Essais, 2005, paru en anglais en 2000 sous le titre original de The Age of Access : New culture of Hypercapitalism), je ne vois pas sans un certain effroi l’économie de l’accès cannibaliser celle des contenus. Car la gratuité, qui est aussi une figure de l’économie marchande, brillamment analysée par Chris Anderson, n’est pas celle des ordinateurs et des abonnements à Internet : le consentement à payer subsiste sur le matériel et l’accès, non sur les œuvres. Gratuité marchande qui alimente désormais de nouveaux géants économiques.
C’est pourquoi certaines inquiétudes sont légitimes. C’est un formidable défi politique, juridique, économique, que de laisser faire ce que la bombe Internet apporte à la libre diffusion des savoirs, des loisirs.. et du commerce tout en sauvegardant une légitime rémunération du travail et de la création.
Le cyberspace, comme on ne l’appelle plus tellement, est bien comme une sorte de nouveau monde, qui serait cependant vide d’Indiens et de bisons. Toutes les pendules sont remises à zéro. Qui n’y lance pas sa caravane de pionnier pour finir par se poser et planter quelque piquets pour délimiter un terrain, embryon de son futur domaine, n’y trouvera Jamais aucune place ;
Ce raisonnement vaut aussi pour les bibliothèques. C’est la raison pour laquelle j’ai dit « Chapeau à Europeana » quelle que soient les critiques qu’on peut émettre sur son état actuel. Et c’est la raisoon pour laquelle cela vaut la peine de s’être battu pour quelques exceptions, de se battre encore pour en améliorer une, même si leur effet concret sur la vie réelle de la masse des bibliothèques sera dans l‘immédiat modeste. Il faut être là. Y compris dans la loi.
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(voir aussi mon billet du 21 juin 2008 Ma main à couper que la bibliothèque est communiste)