La résurrection de la censure…
Posted by Dominique Lahary sur 4 août 2009
…c’est le titre de cette gravure de Grandville de 1832.
Le 12 juin 2009, l’Assemblée générale de l’ABF a condamné l’acte de censure qui venait d’intervenir à la Ville de Paris avec l’ordre de retrait du CD Perdu d’avance du rappeur Orelsan des bacs des bibliothèques et médiathèques. Je l’ai votée. La ligue des droits de l’homme s’est prononcée dans le même sens, annonce Livres-Hebdo. Quelques biblioblogueurs ont fait de même (voyez Desperate Librarian Housewife et Bibliothèque = Public).
Le site ActuaLitté fait état d’une réponse officielle contournée de la Ville de Paris qui entretient la confusion entre choix professionnel et intervention politique, entre procédure normale de sélection sur un flux d’acquisitions et ordre venu d’en haut et ne concernant qu’un seul titre.
Quelques semaines plus tard, l’annulation du concert d’Orelsam aux Francofolies de La Rochelle amplifiait, tout en en maintenant les termes, une polémique qui avait fleurit à l’occasion du Printemps de Bourges.
On lui reproche une chanson appelant à la violence contre les femmes. texte qui a soulevé l’indignation de défenseurs des droits et de la dignité des femmes et motivé toutes sortes de demandes de faire taire ce chanteur et d’empêcher ses concerts.
Certes, les paroles en questions ne sont guère heureuse, et une précédente expression publique de la Ligue des droits de l’homme analysait la polémique avec nuance, en particulier l’allusion à Marie Trintignant qui jette le trouble.
Mais qu’on en juge ici : la chanson Sale pute est une fiction, représentant une scène de jalousie. Orelsam s’en explique là. Il n’a pas mis cette chanson dans son CD et ne l’interprète pas, ou plus, en public.
Les censeurs étourdis oublient deux choses :
- La fiction est la fiction. Si une chape de plomb doit s’abattre sur celle-ci, au nom de toutes les causes incontestables possibles et imaginables, aucune expression artistique ou littéraire n’est plus possible. Va-t-on à nouveau censurer Sade ?
- On ne saurait reprocher à un artiste ce qu’il a dit, créé, fait par ailleurs. A ce compte là, Céline est serait exclu des bibliothèques et des librairies.
Beaucoup se sont gaussés de ceux qui, critiquant la censure d’Orelsan, ont ainsi fait référence à des auteurs ou artistes reconnus. Ils ont tort. La censure n’a pas à s’acharner sur ceux qui ne sont pas, ou pas encore, intouchables pour des raisons de légitimité culturelle. On a toujours tort contre Flaubert ou n’importe quel écrivain médiocre qui tombera dans l’oubli, exactement le même tort.
Dans le n°45 de BIBLIOthèque(s) (juillet 2009), une congressiste de l’ABF, dans un billet intitulé Le congrès off, écrit : « une motion de l’ABF votée pour interdire d’interdire l’ignoble CD du rappeur Orelsam appelant à la violence contre les femmes avec sa très douce chanson Sale pute nous a toutes interdites ». Je me réjouis que la revue de l’ABF publie ce point de vue contraire au vote de l’Assemblée générale. Mais cette collègue se trompe deux fois : la chanson n’est pas dans le CD ; elle n’appelle pas à la violence contre les femmes.
Violence qu’il faut combattre, naturellement.
PS : A lire, le beau numéro de BIBLIOthèque(s) n°41-42 (décembre 2008) sur la censure, dirigé par Michel Melot.
aimable said
Vous êtes contre la censure. Soit. Cependant, une fois au moins, vous l’avez voulue, désirée, réclamée ; vous vous êtes fait son héraut. Remember Dédé : c’était à l’occasion d’une polémique tenue sur feu biblio.fr. Indigné de l’outrage fait un chef vénéré de la profession, vous réclamâtes à qui voulait l’entendre qu’il fallait interdire la publication des « aigreurs de caniveau ». Ce fut une initiative malheureuse et indigne. Le message incriminé était pourtant pertinent et fort bien tourné (je le sais : c’était mon oeuvre). Heureusement, la modératrice, soit par conviction démocratique, soit par étourderie, ne s’est pas laissée impressionner, ni par l’injonction d’un chef, ni par le flot de messages réclamant le peau de l’impudent. Je suis heureux de constater que vous avez retrouvé l’entendement et le sens du discernement, à défaut de la mémoire.
Aimable
claudine said
bonjour,
il ne vous aura pas échappé le cas raconté dans Livres Hebdo cette semaine, par P. Jullien , BM TOULOUSE, sur son invitation faite à Azouz begag … qui n’eut pas l’heur de plaire à son élu ( couleur ??? rose comme la ville ).
quelle ouverture !
Claudine
Dominique Lahary said
Non, j’ai lu ça effectivement. C’est hélas consternant.
Fra Pacifico said
Bonjour,
Je ne suis pas bibliothécaire mais cette discussion m’intéresse.
Juste un mot à Aimable : je ne connais pas cette histoire mais je veux faire observer que dans un cas il s’agit d’une fiction et dans l’autre on désigne apparemment quelqu’un nommément ou bien suffisamment clairement pour qu’on le reconnaisse. Si cela devient de la diffamation ou de l’injure, on tombe sous le coup de la loi.
Cela dit, j’insiste je ne connais pas les tenants et aboutissant de l’affaire. Je voulais simplement rappeler ce distinguo.
Blog très utile pour les apprentis : merci !
Fra Dolcino said
Bonjour Fra Pacifico.
Je ne suis pas sûr que votre distinction tienne. Non seulement parce que, comme vous le soulignez, vous ignorez le contexte de l’affaire (si vraiment vous y tenez, cherchez dans les archives de biblio.fr) mais encore parce que la question de la diffamation est d’abord une question de morale et, secondairement, une question de droit: le problème est bien celui des valeurs qui commandent les manières d’être ensemble. Je formule cela d’une manière qui vous paraîtra naïve : la calomnie, la diffamation sont les marques du mépris ; est-il digne de mépriser l’autre ?
Ce point me permet de conclure sur « l’affaire », comme vous dites ; car la réaction d’Aimable (myself) était précisément une réaction indignée aux propos méprisants d’un chef « bien connu pour sa grande compétence professionnelle », selon les termes du lèche-cul de service (un journaliste, forcément) en charge du panégyrique.
Bonne journée.
Fra Dolcino (=Aimable)