Payer moins pour lire plus ?
Posted by Dominique Lahary sur 11 août 2009
Sous le titre Recul du livre et de la presse dans le budget des ménages, l’INSEE publie un quatre pages établit à partir de ses « enquêtes budget ».
La presse recule d’abord dans les générations les plus jeunes, le livre dans toutes, ce qui est nouveau : « Contrairement à ce qui se passe pour la presse, le recul du livre n’est pas dû à l’arrivée de nouvelles générations qui en achèteraient moins. Les générations les plus jeunes y consacraient même, du moins jusqu’en 2001, une part de leur budget plus élevée que les générations précédentes. Le recul du livre est marqué par une baisse qui touche toutes les générations. »
Le rédacteur de la note, Thibaut de Saint Pol, conclut par cette précision : « On ne doit toutefois pas oublier qu’on ne s’intéresse ici qu’à l’achat de livres et de presse et non à leur lecture effective. Comme la baisse de la part de ces consommations, les écarts observés ne tiennent pas compte des prêts, notamment en bibliothèque, de la lecture sur Internet et de la multiplication des journaux gratuits. »
On peut rapprocher, sans les confondre, les conclusions de cette étude de celle d’une enquête de la Commission européenne rendue publique le 4 août (avec chiffres par pays consultables ici) sur les usages d’Internet. On y lit que « les 16-24 ans sont les plus grands utilisateurs d’internet: 73 % d’entre eux ont régulièrement recours à des services de pointe pour créer et partager du contenu sur la toile, soit le double de la moyenne pour l’ensemble de la population de l’Union européenne. » Et plus loin : « Bien que la «génération numérique» paraisse réticente à mettre la main au porte-monnaie pour télécharger ou consulter en ligne des contenus comme des vidéos ou de la musique (33 % affirment ne pas être disposés à payer quoi que ce soit, ce qui représente le double de la moyenne de l’UE), ils sont en réalité, au sein de cette génération, proportionnellement deux fois plus nombreux que le reste de la population à avoir déjà payé pour ce type de service (10 % des jeunes utilisateurs contre 5 % de l’ensemble de la population de l’Union européenne). Ils sont également plus disposés à payer pour obtenir un meilleur service de qualité supérieure. » Ce que Le Monde résumait ainsi dans son édition datée du 4 août 2009 : « De plus en plus connectés, les Européens restent réticents à payer pour du contenu en ligne. »
Tout se passe comme si deux phénomènes en partie liés se conjuguaient : le report de l’acte de lecture sur écran et la baisse de ce que les économistes appellent le « consentement à payer ». Et cette baisse est particulièrement sensible sur l’information chaude, autrement dit, sur le frais.
On ne peut en conclure une baisse de la pratique de lecture (pas plus que de l’écoute musicale, du visionnage de films…) Mais de la lecture de séquences longue ? La question est posée.
B. Majour said
« De la lecture de séquence longue… »
Ou de la lecture passive ?
Quand certains auteurs imaginent déjà le livre interactif, où le lecteur choisit sa fin, on peut se poser la question d’un changement des pratiques de lectures.
Un « s » à lecture, car il en est de plus en plus : informationnelle, exploratoire (dont sérendipité), lecture de powerpoint (cours, présentations, mais aussi diaporama avec pour certains côté historique), parcours de forum, netvibes, etc. etc.
Sans oublier la lecture dite « normale » : livres en ligne (pdf et ebook), blogs, journaux en ligne.
Les livres papiers s’accumulent dans ma bibliothèque personnelle, et j’en comprends la raison.
Ma lecture s’est déportée sur le Net dans un rapport de trois sur quatre.
Et si j’ai quasi abandonné la télévision pour ce qui est du visionnage, ce n’est pas non plus pour rien. Là aussi, le rapport est énorme… et se pose même la question d’acheter une prochaine télévision HD, ou d’un écran plus large pour l’ordinateur branché à Internet. (les services en ligne sont là pour pousser la problématique de manière accrue. Ne parlons même pas d’une offre bibliothèque de films)
Ceci pour en revenir à la question de la lecture en séquence longue.
Quand je suis deux heures devant mon écran, ou deux heures devant mon livre, je peux lire indifféremment le même livre (sur écran ou sur papier), et à l’identique le courrier des lecteurs d’un magazine et celui que je reçois. A la différence près que je vais répondre à mes emails, et donc me rendre actif dans la lecture.
Pour moi, c’est le même temps de « lecture »… même si les formulaires de statistique datent d’une époque préhistorique où seul le livre était comptabilisé comme « lecture importante » (comme si lire un roman de gare n’était pas équivalent à lire un classique, ou manger un Sundae dans un fastfood équivalent à manger une cône chez soi)
Sauf que…
Le temps d’une personne est de 24 heures par jour, moins 7 à 9 heures de sommeil.
Et que ce temps n’est pas extensible.
Or, même si les supports changent, mon temps de lecture demeure. ;-)
Bien cordialement
B. Majour
Dominique Lahary said
Oui les pratiques changent, et l’utilisation de son capital-temps. Mais peut-on mettre sur le même plan la jouissance d’une oeuvre et l’échange ? Et les oeuvres interactives vont-elles dominer ? Je n’y crois pas trop, il me semble que c’est une palette de plus dans l’éventail des oeuvres.
Choisir sa fin ? Cela avait été proposé, avec un panel de spectateur, par les producteurs de La belle équipe, l’inoubliable film de Julien Duvivier (1936) avec Jean Gabin. On leu fit choisir entre la fin pessimiste voulue par le réalisateur et la fin optimiste préférée par le producteur. Ils préférèrent le happy end et c’est avec lui que le film sortit. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour respecter la volonté du réalisateur. Au bout du bout, je crois qu’un oeuvre s’impose à un monde qui n’en veut pas.
La séquence longue, si elle devait disparaître, poserait des problèmes intellectuels (l’essai, le raisonnement philosophique, le développement scientifique) et culturelle (tous les genres qui reposent sur la durée, cinéma compris).
Mais je ne crois pas qu’Internet rend idiot, comme le soutient Nicolas Carr (voir ici et là).
Bien cordialement.