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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

Archive for septembre 2009

Google va-t-il tout dévorer ?

Posted by Dominique Lahary sur 8 septembre 2009

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latribunedu18août

La fuite opérée dans La Tribune du 18 août 2009 selon laquelle la BnF s’apprêterait à confier à Google une partie de la numérisation de son fonds a entrainé un débat public et une cascade de polémiques et de démentis qui ont eu le mérite de mettre sur la place publique une question d’importance. La métaphore de l’ogre s’est imposée, comme on le voit dans le titre du Canard enchaîné du 28 août 2009 :

manchetteCanard

manchette-libeou cette une de Libération du 29 août (annonçant l’éditorial de Laurent Joffrin et les articles Le glouton élargit sa mission, Google pousse à l’index et Lyon transfert son fonds) :

Mais cet ogre, est-ce un gentil personnage, comme l’inoubliable Géant de Zéralda de Tomi Ungerer, ou une figure dangereuse ?

Derrière le cas de la BnF, à propos duquel le nouveau ministre de la culture Frédéric Mitterrand déclare qu’il va trancher après réflexion, se profile le Règlement Google, conclu avec les éditeurs et auteurs étatsuniens et auquel leurs homologues du monde entier sont invités à adhérer, sensément pour sa seule application sur le sol américain. Adhérer tacitement, sauf à objecter devant le tribunal du district de New York au plus tard le 8 septembre, les bibliothèques étant concernées par l’aumône d’un terminal unique par établissement pour peu qu’elles concèdent à Google l’exclusivité d’un accord commercial avec lui.

Je donne ces quelques liens qui permettent de ce faire une idée d’un accord d’une extraordinaire complexité :

et les favoris délicious de Calimaq

Et je renvoie au communiqué du 7 septembre 2009 de 11 associations d’archivistes, bibliothécaires et documentalistes français membres de l’IABD , avec le dossier de presse qui y est associé.

Oui, le géant Google est sympathique. Comme moi, vous l’utilisez tous les jours et êtes bluffé par l’efficacité avec laquelle il a, selon son ambition proclamée, « organisé l’information mondiale ». Vous avez essayé d’autres moteurs mais trouvé aucun d’aussi efficace, pour la plupart de vos besoins. Vous avez apprécié la revue de presse automatique, le partage de photo, la messagerie en ligne et le traitement de texte hébergé. Google vous fait voir le monde entier d’en haut et même le ciel, trace vos itinéraires et localise ce que bon vous semble en plantant sur ses joli cartes les petites flèches de sa géolocalisation. Il est devenu le roi de l’informatique en nuage qui surplombe désormais la planète numérique, il moutonne votre ciel et vous y trouvez la lumière.

Oui, le géant Google est sympathique parce que c’est une entreprise sympathique, décloisonnée, non hiérarchique, dont les salariés ravis, gâté par les cantines et salles de remise en forme gratuites, organisent leur travail à loisir.

Mais ce géant, avec patience et rapidité, avec souplesse et systématique, tisse sa toile sur la Toile et démontre en mode accéléré que, si l’on n’y prend pas garde, la concurrence aboutit au monopole. Il est peut-être né, ou presque, dans un garage, selon l’inévitable story telling des successs stories de l’ère numérique, mais rien d’autre de comparable ne pourra plus jamais naître dans un garage car la place sera prise.

Et tout ceci avec le modèle économique qui tue (killer busisness model, comme on parle de killer application)  : la gratuité, qui n’est rien d’autre qu’une autre façon de faire payer.

Google a bâti avec une intelligence virtuose son empire en indexant les autres. Il a été un des principaux agents de cette économie de l’accès qui a battu en brèche les économies du contenu. Et le voilà maintenant qui s’empare des contenus. Les vôtres d’abord, ou ceux que vous collectez vous-même, quand il rachète Youtube ou héberge vos photos ou votre messagerie. Et puis, coup de maître, les bibliothèques.

Il faut lire l’article lumineux de Robert Darnton, publié en français dans le numéro de mars 2009 du Monde diplomatique , qui commence par ces mots :

« En offrant au plus grand nombre une masse toujours croissante de connaissances, Internet réalise-t-il le rêve des Lumières ou prépare-t-il le cauchemar d’un savoir public livré aux appétits privés ? Grâce à — ou à cause de — Google, ces questions n’ont plus rien d’abstrait. »

et finit par ceux-ci :

« Quelle que soit la manière d’interpréter cet accord, ses dispositions s’imbriquent de manière si inextricable qu’elles s’imposent en bloc. Aujourd’hui, ni Google, ni les auteurs, ni les éditeurs, ni la cour de district de New York ne sont en mesure d’y apporter des changements notables. C’est un tournant majeur dans le développement de ce que nous appelons la société de l’information. Si nous ne rééquilibrons pas la balance, les intérêts privés pourraient bientôt l’emporter pour de bon sur l’intérêt public. Le rêve des Lumières serait alors plus inaccessible que jamais. »

Il faut lire aussi le vigoureux billet Is it a bird ? Is it a plane ? No. It’s a monopolistic library-bookseller d’Olivier Ertzscheid du 5 juin 2009  dont voici le nœud :

« J’ai répété (avec d’autres …) depuis plus de 3 ans révolus que Google serait nécessairement libraire, bibliothécaire et éditeur. […] Avec d’autres j’ai essayé de convaincre de la nécessité absolue d’une contre-offensive « de poids », sur trois axes : un portail de recherche fédérée regroupant l’essentiel de l’offre des libraires dits « indépendants », une réflexion de fond sur les usages, avec la mise en place d’expérimentations à couverture ou à portée nationale, une bibliothèque numérique qui ne soit pas seulement interface mais d’abord et avant tout contenus, contenus moissonnés pour être d’abord rassemblés, et pour être, ensuite seulement, distribués dans le cadre d’un bouquet de services et d’applications. »

C’est bien, Google Book Search (pardon, Google recherche de livres). C’est vraiment très bien. Et vouloir mettre un coup d’arrêt à son expansion ou au moins investir dans d’autres projets doit être  peu près si populaire auprès des internautes que la création d’une taxe carbone auprès des contribuables. Mais moi qui défends généralement le point de vue de l’utilisateur, ici et maintenant, j’en appelle à la responsabilité de la puissance publique et des professionnels du livre, tous secteurs confondus, dans l’intérêt des générations futures.

Le monopole de Google est tentant à court terme. A long terme, c’est un danger redoutable. Acceptons-nous que le patrimoine écrit de l’humanité soit détenu par un seul groupe privé, soumis aux décisions des successeurs des si sympathiques dirigeants actuels, qui acceptent tout de même de verrouiller leur moteur sur ordre des régimes autoritaires que vous savez ?

Ce patrimoine, fruit de la créativité de générations à travers le monde, entretenu par un foisonnement d’initiatives et d’entreprises privées, et sauvegardé par les bibliothèques, dont la plupart ont un statut public ?

Il ne s’agit pas ici de condamner les partenariats publics privés : je les aime tellement que je souhaite qu’il y en ait plusieurs. Il ne s’agit pas de fustiger une entreprise américaine : elle serait française que le problème serait exactement le même.

Il s’agit de s’opposer à un règlement Google américain qui va s’imposer au reste du monde et à une démission des puissances publiques nationales et européennes : comme si c’était déjà trop tard, comme si le monopole était inéluctable.

En  France, le débat sur Google recherche de livres a commencé en 2005, avec notamment l’appel de Jean-Noël Jeanneney intitulé. J’avais alors, dans un message du 27 avril2005 au regretté biblio-fr intitulé Google, le livre, l’accès, la collection, fait l’éloge de l’indexation pour terminer par la question du stockage :

« On voit ici que la bataille qui s’amorce, c’est celle du stockage. Elle est essentielle. Que ceux qui veulent avoir une influence sur ce qui sera indexé par les outils communs de la société de l’information construisent des politiques de stockage numérique et en gardent la maîtrise. »

Nous y sommes.

Car Google, qui a bâtit son empire sur l’indexation des autres, construit son stock de livres numérisés en interdisant aux autres de l’indexer. Tout est là. Il est en train de rendre obligatoire le passage par son guichet, qui va bientôt devenir une caisse puisqu’il va se faire aussi libraire, se mettant finalement à vendre des contenu et non plus seulement de l’espace publicitaire. La boucle est bouclée.

Au début des années 1990, Bill Gates avait avec son entreprise d’images Corbis failli faire main basse sur les collections publiques d’images. Il avait en partie échoué parce qu’on ne l’avait pas laissé faire. Rien n’est joué. Seule serait fatale l’enchaînement des démissions successives et le refus des coalitions.

Dans l’histoire généralement la force s’impose avant que le droit ne l’organise. C’est ainsi que les Empires et les entreprises coloniales se sont formés. Nous sommes, dans l’univers numérique dans une phase comparable. D’abord la force au mépris du droit installé. Le nouveau droit se reconstruira sur la base d’un rapport de force.

caravaneJ’ai souvent comparé la constitution du cyberespace au Far West. Pour expliquer qui nul n’y aurait sa place s’il ne s’y précipitait pas avec sa caravane de pionnier, puis ne s’y arrêtait pour délimiter son champ et tout de suite commençait à l’exploiter. Et par conséquent qu’il n’y aurait, entre autres, de bibliothèque dans le cyberspace que si des bibliothèques ne s’y installaient, avant qu’il ne soit trop tard.

Mais j’ajoutais : un Far West où il n’y aurait ni Indiens ni bisons. Je dois aujourd’hui sérieusement réviser mon analogie historique. Le nouveau monde n’est pas un autre monde, c’est le nôtre. Comme au Far West, les nouveaux puissants avancent et occupent le terrain, puis concèdent ça et là des traités avec des peuples qui ne parviendront à s’unir que quand il sera trop tard. Aujourd’hui les Etats-Unis, demain l’Europe, faible et divisée selon son habitude somme toute récente. Une autre politique est possible.

indiensàchevalMais attention. Je vais peut-être diverger avec une partie des forces dont je crois aujourd’hui la coalition nécessaire, diverger même avec une partie des bibliothécaires et documentalistes, mais il me semble indispensable de considérer qu’on ne tiendra pas tête à Google avec les armes du passé. Après tout, les amérindiens ont bien adopté le cheval et l’arme à feu.

Au congrès de l’ABF de juin 2008 à Reims, on m’avait proposé une rencontre (ce furent deux monologues parallèles) avec le très courtois représentant en France de Google recherche de livres. Lui énonça le story telling : « organiser l’information mondiale ». Il n’a pas consenti à communiquer son diaporama. Le mien est ici (Google et nous).

J’y rappelais les caractéristiques fondamentales du traitement de l’information à la Google :

« – On indexe tout… et n’importe quoi

– On ne classe pas, on trie

– On indexe en plein texte »

Précédemment, en 2005, j’avais dans Numérique, bibliothèques, utilisateurs : Un nouveau paradigme ? tenté d’énumérer « ce que les moteurs ont changé »

« 1. On cherche partout à la fois : La métacollection contre la collection.

2. On cherche avec ses propres mots : Le « langage naturel » contre les langages documentaires, les classifications postcoordonnés contre les classifications précoordonnés.

3. On veut de l’information primaire : La bibliothèque contre les catalogues.

4. On fait tout avec le même outil : Le flou contre la frontière, le généralisme contre la spécialisation.

5. On veut accéder de chez soi, de partout : L’atopisme contre le lieu dédié. »

Et j’ajoutais : « Tout ce qui est en retrait sur les cinq révolutions apparaît comme une limitation difficilement supportable. »

Googgle, mais aussi bien d’autres acteurs avant lui ou parallèlement à lui, mais Google tout particulièrement bien sûr, ont contribué à procurer aux internautes, c’est-à-dire à une partie de plus en plus considérable de la population, des outils qui ont facilité une profonde mutation dans les pratiques de recherche d’information et d’œuvres. On ne recréera pas le monde ancien. Il faut aller aussi vite que la musique. L’offre publique de culture et de documentation doit être d’après et non d’avant les 5 révolutions, ou elle ne sera pas.

J’aime bien chercher dans Google Books. La recherche dans l’intérieur du livre y a conquis sa place définitive, contre les dévôts exclusifs des catalogues, des indexations par système d’autorité et des classifications précoordonnées. Et la masse critique, propre à satisfaire les besoins les plus divers, prouve son efficacité, contre les partisans de la sélection qualitative ou thématique. Je veux bien des catalogues, des classifications et des sélections, mais pas que cela, et pas comme mode unique d’accès.

Il est excellent que cette entreprise si innovante ait développé ce service. Que des bibliothèques et des collectivités locales, jusqu’en France comme la ville de Lyon, ait contracté avec Google est après tout utile et stimulant. Google a apporté à l’organisation de l’information mondiale une contribution remarquable. Mais pas au point de mériter un monopole.

Dernière remarque : on ne tiendra pas éternellement en laissant intégralement en l’état les règles du droit d’auteur et du copyright. La Commission européenne elle-même considère « que la numérisation ne pourra progresser en Europe qu’à la condition de donner aux institutions culturelles les moyens juridiques de remplir leurs missions, notamment en ce qui concerne les oeuvres orphelines et les oeuvres épuisées », comme le souligne ::S.I.Lex:: dans son billet du 1er septembre 2009 . Et d’ajouter :

« Depuis toutes ces années, le vide juridique persistant a profité et profite toujours à Google qui a su utiliser sa force de frappe contentieuse pour produire un Règlement qui va lui permettre – et à lui seul – de numériser et de commercialiser les oeuvres orphelines et épuisées qui continuent à gripper la machine de la numérisation en Europe. Une loi privée est sur le point d’accomplir ce que la loi publique n’a pas su faire … nous nous acheminons vers une grande défaite démocratique … »

Il reste probablement peu de temps pour que les organismes publics détenteurs de la mémoire du monde en maitrisent la conservation pour les générations futures.

Ne soyons pas comme des ours blancs qui voient la banquise disparaitre inexorablement sous leurs pieds.

(Ce billet, comme tous les autres de ce blog, ne reflète naturellement que mon point de vue personnel, à un moment donné)

ours-seul

Post scriptum des 09/09/09 et 14/09/09 :

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Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 4 : épouser la reconfiguration des périmètres et des compétences, pour le meilleur et pour le pire

Posted by Dominique Lahary sur 2 septembre 2009

Je reprends mon feuilleton « Les bibliothèques et le mille-feuilles territorial » interrompu depuis le 11 février 2009.

Trois textes sont depuis parus, officiellement ou non :

Faisons simple et concentrons-nous sur ce dernier texte dont les grandes lignes sont présentées sur le site de l’ADBDP, toujours en prenant notre petit bout de la lorgnette (la lecture publique et les bibliothèques).

La fin de la clause de compétence générale des départements et des régions

Le projet de loi reprend la proposition du rapport Balladur en prévoyant la fin de la clause de compétence générale des départements et des régions. Seules les communes et l’Etat la détiendraient désormais. Mais la définition des compétences respectives des départements et des régions est renvoyée à une loi ultérieure.

Cette répartition limitative des compétences des différents niveaux de collectivités est a priori une mesure de bon sens : quand tout le monde fait tout, il y a gaspillage et le citoyen n’y comprends plus rien. Mais j’ai dit ici et en quoi cela privait les échelons ainsi corsetés de toute latitude pour développer de véritables politiques. Cette mesure n’est pas décentralisatrice car elle réserve à l’Etat la stratégie.

Et en matière de lecture publique, la fin de la clause de compétence des départements permettraient plus difficilement de la lier aux autres politiques sociales , éducatives et d’aménagement du territoire. Voilà pour moi deux raisons pour soutenir la position de l’Assemblée des départements de France (ADF) en faveur du maintien de la clause générale de compétence.

Remarquons toutefois que cette suppression est atténuée par la licence qu’auraient les départements de financer les communes et intercommunalités en dehors de leurs compétences strictes.

La réforme du mode de désignation des élus des départements et des régions

La confusion entre élus départementaux et régionaux, en la personne des « conseillers territoriaux », pourrait poser la question de l’autonomie politique des départements, et donc de leurs politiques respectives en matière de lecture publique.

Mais je me réjouis d’avance du renouvellement tous les six ans des élus départementaux, qui est souhaité par l’ADF et qui permettraient enfin aux conseils généraux de vivre le rythme normal d’une mandature (6 ans) au lieu d’être soumis tous les trois ans à une possible alternance.

La limitation des financements croisés

Voilà encore une mesure apparemment de bon sens. Mais j’ai dit comment la combinaison des périmètres de financement est légitime pour compenser trois handicaps : la petite échelle, l’insuffisance des ressources et les charges de centralité.

Le projet de loi oblige toute collectivité à financer au moins 50% des projets dont elle est maître d’ouvrage, tant en investissement qu’en fonctionnement (plancher ramené à 30% pour les communes de moins de 2 000 habitants, les intercommunalités de moins de 20 000 habitants et les zones ANRU). Cette clause heurterait de plein fouet les politiques de développement de la lecture publique d’un certain nombre de départements, qui s’ajoutent aux soutiens de l’Etat dispensés dans le cadre du concours particulier de la dotation générale de décentralisation en faveur des bibliothèques.

Le rapport Belot auprès du Sénat reconnaît que la pratique des financements croisés « s’avère toutefois indispensable » : « La pratique des cofinancements est essentiellement l’expression financière d’une coopération entre les acteurs publics. […] [Elle]  permet la réalisation de projets qui n’auraient pu voir le jour si la participation conjointe de plusieurs personnes publiques avait été impossible. […] Les cofinancements sont indispensables à l’action publique, notamment des collectivités territoriales. »

Dans La Gazette des communes, des départements et des régions du 13 juillet 2009, Karine Gloanec-Maurin, présidente de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), déclarait :  « Les financements croisés […] permettent de resituer les projets dans une perspective d’aménagement culturel du territoire ».

La reconfiguration des périmètres et la mise en place de métropoles

Le projet de loi encourage la libre reconfiguration des périmètres notamment par fusion de départements et de communes. Ces fusions entraîneraient mécaniquement la réorganisation des bibliothèques départementales ou communales concernées. Rien à redire là-dessus, sinon une évolution prévisible du paysage.

En revanche la création de métropoles, qui dépouilleraient sur leur territoires les départements de leurs compétences, reconfigureraient les missions des BDP concernées en la limitant aux besoins de la périphérie rurale. Aux départements et métropoles concernés d’engager d’éventuels partenariats. Le rapport Balladur, contrairement au projet de loi, énumérait les métropoles à créer : Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Nice, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulon et Toulouse. C’est une indication.

Quant au cas de l’Île-de-France, il fait sous le nom de code de « Grand Paris » ou de « Paris métropole » l’objet de projets croisés sur fond de polémiques. Si une simplification structurelle se dégageait, la gestion des réseaux de bibliothèques pourrait en être reconfigurée.

Le renforcement dirigé de l’intercommunalité

C’est une des orientations les plus claires du projet de loi, dans la lignées du rapport Balladur : tout va être fait pour que le processus d’intercommunalisation s’achève et que les périmètres soient redéfinis et simplifiés, par fusion des communautés trop petites. Le Préfet aurait un rôle prépondérant, au besoin coercitif, dans cette marche forcée, à laquelle échapperait l’Île-de-France, objet d’un traitement spécial lié au Grand paris. Enfin, la fusion volontaire des communes appartenant à la même intercommunalité serait encouragée.

Ce renforcement attendu de l’intercommunalité ne peut que favoriser une meilleure organisation de la lecture publique. Théoriquement. Car s’est un outil qui n’est efficace que si les volontés conjuguées des élus, des administrations et des professionnels permettent de l’utiliser pleinement dans l’intérêt public. J’y reviendrai dans un prochain billet.

Conclusion : bibliothèques à tous les étages, quoique.

Même si la définition des compétences des départements et des régions est renvoyée à une date ultérieure, on peut supposer qu’en matière de culture, il va en être comme dans le rapport Balladur : statu quo, à l’exception des archives, dont les communes pourraient être privées (ça, c’est encore à voir) :

Extrait du tableau n° 14 du rapport Balladur :
Répartition nouvelle des compétences entre collectivités locales et l’Etat

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On nous annonce donc des bibliothèques à tous les étages, même à celui où il n’y en a pas : la région. Cette bourde, présente déjà dans le rapport Lambert de novembre  2007, a été consciencieusement recopiée dans les suivants. Ira-t-elle jusqu’à être gravée dans la loi ?

Mais n’évacuons pas la question si vite. Et si ce que, revenant en 2001 sur 50 ans de tentatives et de projets avortés, j’ai appelé « l’introuvable échelon territorial » en matière de lecture publique se dégageait enfin ? Nous n’en sommes pas là. Les agences régionales de coopération entre bibliothèques ont presque toutes rejoint une structure interprofessionnelle du livre, parfois ouvert à d’autres supports. Les lambeaux de missions quelles se donnent en matière de bibliothèque pourraient, sous la houlette de la FILL qui les fédère, déboucher sur une tentative de recension régionale puis nationale des données sur les bibliothèques, à l’heure où l’ADBDP avance à grands pas en collaborant de son coté avec le ministère de la culture. Les conseils régionaux, sans lesquelles ces agences régionales ne vivraient pas, développent ici et là des politiques pouvant aller jusqu’au soutien financier aux investissements en matière de bibliothèque. Mais la véritable perspective régionale n’apparaîtrait que si nous assistions à la disparition progressive du département au profit de la région, intention avouée à demi-mot par Edouard Balladur (voir parmi d’autres son interview dans Libération du 9 mars 2009) et prospective admissible… à moyen ou long terme. Il faudra bien alors que les BDP d’une même région fusionnent, si elles existent toujours. De même que de leurs côté les bibliothèques actuellement municipales pourraient accompagner la montée inexorable de l’intercommunalité.

Mais un équipement, est-ce une politique ? La « compétence obligatoire » des départements se réduit à la seule gestion des BDP quand celles-ci sont souvent devenues un instrument parmi d’autres d’une politique de soutien et de développement qui s’appuie également sur un dispositif de subvention. De ce point de vue, il serait préférable que la loi annoncée énumérant les compétences des départements et des régions ne se contente pas d’attribuer aux premiers la gestion des « bibliothèques départementales de prêt » (appellation de plus en plus désuète) mais fasse plutôt référence à une politique de soutien à la lecture publique. Mais je tremble en écrivant cela : la référence à un établissement, malgré ses limites, n’est-ce pas préférable à la désignation d’une politique qui peut devenir si évanescente qu’elle n’en vienne à se passer de l’établissement ?

J’en termine là, sur l’expression de ce doute.

Mes autres billets sur le projet de réforme territoriale :

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