Eloge du chariot de retour
Posted by Dominique Lahary sur 31 octobre 2011
Il ne paye pas de mine. C’est une modestie sur roulette, une humilité pratique, un simple dispositif technique accordant au document rendu par l’usager un temps de latence avant son rangement en rayon.
Oui mais voilà : bien souvent ce document ne rejoint pas sa place assignée car il est repris par un autre usager.
On pourrait n’y voir qu’un gain de temps appréciable : c’est toujours ça de moins à ranger. Mais c’est bien plus.
On sait bien que nos chariots de retour sont, pour peu que le public y ait accès, des pôles d’animation. On s’y presse comme au comptoir du bistrot, on y farfouille, seul ou à plusieurs, on y papote et on s’y sert. Pratique ! Pas besoin de se fatiguer à déambuler entre les rayonnages. Une commodité pour gens paresseux, pressés, suiveurs : puisque c’est là, c’est que des gens les ont pris, alors ça doit être bien.
Je ne crois pas un mot de ces deux dernières phrases, ou plutôt, je ne vois pas le chariot sous cet angle.
Car que dit l’engouement de tant de gens pour ce modeste élément de mobilier mobile ?
Il dit qu’on aime à farfouiller dans un petit choix.
Qu’on aime farfouiller tout court, comme dans le bac à chaussettes de certains commerçants.
Qu’on est attiré, au milieu de l’impressionnante galerie des œuvres proposées, rangées en rang d’oignon, par celles qui ont déjà servi et se présentent dans un aimable fatras.
Le chariot de retour, c’est la tête de gondole garnie par les usagers eux-mêmes, c’est la prescription entre pairs. Un petit bout d’horizontalité roulante dans la cathédrale (ou la chapelle) verticale.
Voilà pourquoi je me gendarme quand, appelé à donner mon avis sur un projet d’aménagement de bibliothèque, je constate que les chariots ne seront pas libérés au milieu des gens. Je hais les banques qui les emprisonnent ou les tapis roulants où disparaissent immédiatement, dès que rendus, les documents voués à un tri automatique.
Avec ce petit ustensile roulant il y a moins à ranger, et les gens adorent : tout le monde y gagne.
Libérons les chariots de retour !
misterpamp said
Bon y a quand même un problème avec les chariots de retour, c’est qu’on n’arrive jamais à y accéder, vu que t’as toujours une vieille dondon super-large (j’ai rien contre les obèses je précise) qu’est agglutinée au chariot : elle pose carrément ses affaires dessus, et vas-y pas qu’elle déchiffre une par une tous les quatrièmes de couverture ! T’as juste envie soit de faire rouler brutalement le chariot pour qu’elle se viande, soit de lui piquer son sac à main, mais dedans tu risques juste de trouver des couches anti-pisse et des pastilles au miel trop écoeurantes, donc en fait tu laisses tomber le chariot de retour et tu vas dans les rayons dénicher un vieux bouquin, c’est nul mais c’est ça aussi la réalité des chariots de retour monsieur Lahary.
biblioblogtest said
Ah ben ! Voilà un article qui nous éloigne du virtuel. Mais c’est vrai que çà a du bon. Et j’y crois aussi. A la reflexion ne sommes nous pas si loin du « les clients (d’Amazon) ont aussi aimé »…
Dominique Lahary said
Oui tout à fait
Yvonnic said
On ne peut pas être pour ou contre les chariots de retour. A la limite ils ne peuvent pas être un sujet de débat. Ils existent de fait comme lieu technique de pré-rangement des retours du jour. Techniquement ils sont donc incontournables. Il s’agit alors uniquement de savoir si on les met à la disposition du public ou non. A priori on voit mal pourquoi on les tiendrait hors de portée des publics. Ce n’est finalement qu’une extension de l’accès direct.
Qu’y a-t-il sur ces chariots ? L’image en réduction des goûts d’un public donné à un moment précis de la vie de la structure. A 80% des nouveautés et des « incontournables ». Donc, effectivement une sorte de mini-tête de gondole. Mais ne nous leurrons pas : on retrouve dans ce choix, pour l’essentiel, la copie conforme des choix mis en avant par le monde de l’edition, les médias, ou les bibliothécaires sur leurs présentoirs, coups de coeur, bulletins divers etc, et la « nouveauté »…Un petit choix, effectivement, mais clairement ciblé. Et, c’est vrai qu’on est aussi dans l’effet Amazon, cité plus haut
Pour le public, c’est donc à la fois une commodité ( je vais enfin pouvoir emprunter ce bouquin qui est tout le temps sorti) tout autant que l’affection pour la « farfouille », lieu supposé de la « bonne affaire ». (On constate la meme attirance pour les ouvrages rangés en bacs, comme des CD sur grille de feuilletage, par rapport aux mèmes ouvrages rangés verticalement. Personnellement je mets en bacs des pans entiers d’ouvrages pratiques et de documentaires pour la jeunesse, selon des classements thématiques bien éloignés de la segmentation Dewey)
Pourquoi alors certains professionnels seraient contre ce principe ?
1) L’agacement de voir une fois de plus leur échapper une partie des règles du jeu : encore des publics qui n’iront pas butiner dans mes beaux rayonnages amoureusement rangés et si plein de belles choses…Et puis, comme le dit DL, « c’est la prescription entre pairs ». Et ça, ça nous renvoie à des questions plus large sur notre légitimité de prescripteurs…
2) Techniquement, une certaine réticence au fait que ce va et vient d’ouvrages rend difficile leur vérification (et eventuellement mise de côté pour renforcement, reparation, constatation d’une dégradation à inclure informatiquement, etc..choses qui ne se font que le soir ou le lendemain – c’est du vécu, mais ça dépend des conditions de travail des structures- ) Objectivement, il y a effectivement disparition d’un « temps technique » intermédiaire qui peut se réveler gênant.
3) Par ailleurs ces ouvrages vieillissent de fait plus vite que d’autres, ce qui agace également les « fixistes-patrimoniaux » (pour en revenir à d’autres débats…)
4) Le fait de savoir qu’on « force » ainsi très artificiellement le taux de rotation de certains segments des fonds, taux de rotation déja très suspects si on se réfère à leur mode de calcul et surtout au rôle qu’on leur fait jouer dans les bilans statistiques
Mais au fond, le chariot de retour ne fait que booster la règle de Trueswell (20% des fonds produisent 80% de l’utilisation) et , plus encore, la loi de Morse (plus un document est emprunté et plus il a de chances de l’être de nouveau). Rien de nouveau donc : le chariot ne modifiera pas fondamentalement les règles du jeu , pas plus que les comportements des publics.
Longue vie donc au bac à chaussettes et à l’accès direct sans entraves!
Anonyme said
« l’engouement de tant de gens pour ce modeste élément de mobilier mobile » (« mobilier mobile » : quel pléonasme !).
Lorsqu’on est confronté de telles déclamations incongrues, boursoufflées de métaphores d’une niaiserie infinie, on a le réflexe salutaire du marxiste, prompt à débusquer l’imaginaire de classe : ça se voit que vous bossez en BDP, Lahary, et que vous ne fréquentez que les ci-devant bonzes de la lecture publique, car j’en connais beaucoup qui ne partagent pas votre « engouement » – le prolétariat des bibliothèques, pour ne pas le nommer. Quand on passe des heures et des heures à ranger, je vous garantis qu’on ne s’attendrit pas sur l’objet et qu’on n’en fait pas la métaphysique.
« Libérons les chariots de retour ! » : O sancta simplicitas !
Aimable
Yvonnic said
Bien que, par fonction, D. Lahary, ne soit probablement pas amené à pousser le chariot ni à ranger ou reclasser des ouvrages, il fait la preuve par le seul fait d’aborder ce sujet on ne peut plus concret et quotidien, et pas du tout de façon métaphysique, qu’il est capable d’avoir une vision du terrain et du quotidien « prolétaire » que l’on trouve assez peu chez ses collègues, du moins si l’on en juge par le type de sujet qu’ils aiment aborder. Rendons-donc à César ce qui, pour une fois, lui appartient , à lui comme aux autres.
gildotchka said
gai les mediathèques bibliothèques … et pourquoi pas tant qu’on y est la chanson de Moustaki, le métèque. J’en suis une et j’aime lire et chanter et les bibli et les médiathèques. Salut les bibliothécaires !
Eloge du chariot de retour « la bibliothèque, et veiller said
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