Je suis de ceux qui ont un moment rêvé d’une campagne de communication sur les bibliothèques (non pas pour elles, mais sur leur utilité dans la société, sur les services qu’elles rendent). Nous l’avons rêvé… Bibliothèques sans frontières (BSF) l’a fait !
Lancé dans les tout premiers jours de janvier, la pétition Ouvrons + les bibliothèques a immédiatement reçu un très large écho dans la presse écrite (papier et en ligne) et audiovisuelle.
C’est une pétition éminemment positive, qui promeut le besoin de bibliothèques, l’utilité des bibliothèques : « La bibliothèque a aujourd’hui bien plus à offrir qu’une collection de livres. Elle donne un accès privilégié à la culture, à l’information et aux nouvelles technologies. Elle peut être un lieu de travail individuel ou de réunion pour monter des projets (d’association, d’entreprise, etc.). Elle est essentielle pour la réussite des étudiants et des lycéens, notamment les plus modestes. Les citoyens ont besoin des bibliothèques, et les bibliothèques doivent s’adapter aux besoins de leurs publics pour assurer leur avenir ». Et la presse a relayé ce besoin.
C’était finalement la bonne idée, que de communiquer à partir d’un manque. « Ouvrons plus les bibliothèques », cela veut aussi dire « Nous voulons plus de bibliothèque », certes dans l’espace, mais aussi dans le temps.
La charte que BSF propose aux candidats aux municipales de signer est en tous points remarquable. S’appuyant sur « les principes à valeur constitutionnelle de continuité et d’égalité devant le service public », elle demande l’élargissement des heures d’ouverture « selon l’étude préalable des enjeux locaux, des usagers et de leurs besoins », « la coordination des structures locales », recommande « [d’]associer les professionnels et [de] respecter le métier de bibliothécaire », en suggérant notamment le respect de « leurs conditions de travail » et « des compensations suffisantes pour le travail dominical et du soir », proclame qu’il faut « accorder des moyens suffisants » tout en admettant l’utilité de « réorganisation internes » et enfin promeut « l’ancrage des bibliothèques au cœur de la vie publique ».
L’insuffisance globale des heures d’ouverture des bibliothèques, particulièrement des bibliothèques publiques en France est un fait connu. Avant même les deux rapporte de l’Inspection générale des bibliothèques sur le sujet (Améliorer l’accueil dans les bibliothèques : Propositions pour une extension des horaires d’ouverture par Georges Perrin avril 2008 et L’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques : progrès et obstacles par Dominique Arot, novembre 2012), j‘avais été frappé par l’article de Peter Borchardt Les bibliothèques de lecture publique en France vues d’Outre-Rhin (Bulletin des bibliothèques de France, n° 5, 2002). S’appuyant sur une observation ayant durée une vingtaine d’année, ce collègue allemand, après avoir noté l’engagement de l’Etat, dis son admiration pour l(architecture de nos bâtiments et la richesse de nos programmes d’action culturelle. Mais il a cette remarque cruelle : « Ce qui ne manque jamais d’étonner les bibliothécaires allemands, c’est la disproportion entre l’effectif du personnel et les heures d’ouverture ». Et de pointer le faible niveau de coopération (« On a l’impression que chaque bibliothèque travaille pour elle-même ») et « la persistance du catalogage local et le temps qui lui est consacré ». J’avais l’année suivante résumé ainsi ce diagnostic : « Une bibliothèque publique à la française, c’est un établissement où on passe beaucoup de temps à faire autre chose qu’accueillir le public » (Lecture publique et territoires : essai de rétroprospective. Journées d’étude de l’ADBDP de novembre 2001, http://www.adbdp.asso.fr/Le-developpement-territorial-de-la).
Le grand mérite de cette campagne est de donner un coup de boutoir tout en valorisant les bibliothèques. Et ce coup de boutoir ne pouvait venir que de l’extérieur du milieu professionnel lui-même. Une partie de ce dernier, c’était prévisible et explicable, a réagi par une contre-pétition, Ouvrons mieux les bibliothèques, qu’on peut entendre et respecter, mais qui n’a aucune chance d’obtenir le même écho.
Les deux clés sont dans la charte proposé par BSF aux élus à à ceux qui veulent l’être : des moyens, mais aussi une politique de l’emploi adaptée (avec un volant de vacataires), de la mutualisation, des réorganisation internes. Les bibliothèques universitaires n’ouvriraient pas en moyenne 60 heures s’il n’y avait pas les moniteurs étudiants.
Il faut naturellement moduler les projets d’horaires en fonction des moyens. Mon étude de septembre 2011 portant sur l’Île-de-France et mise en ligne par le MOTif, Observatoire du livre et de l’écrit en Île-de-France, montre notamment la relation entre ouverture et population municipale. Et en complément des moyens d’heures d’ouverture généralement présentées, j’y calcule la population ayant accès à telle amplitude horaire, ce qui minimise l’impact des établissements les moins ouverts. Toutes les collectivités n’ont pas les moyens d’ouvrir autant, il n’est pas partout pertinent d’ouvrir le soir ou le dimanche. Mais oui, d’une manière générale, en France, on pourrait faire mieux. Il faut faire mieux.
Dans son étude Happy Hours : Impact des horaires d’ouverture sur les usages et fréquentations en bibliothèque publique de juin 2011 , le MOTif a mis en évidence six profils typiques d’usagers qui se distinguent par leur demande en matière d’horaires d’ouverture :
- Les étudiants et lycéens) sont gros utilisateurs des espaces, viennent souvent, restent longtemps, empruntent peu. Ils sont prêts à venir plus encore,
jusqu’à une heure avancée le soir, pendant les week‑ends et les vacances scolaires, voire en matinée.
- Les demandeurs d’emploi ont des habitudes proches de celles des étudiants
- Les adultes accompagnés d’enfants viennent les mercredis et en week‑end et empruntent beaucoup ; c’est un public féminin le mercredi, plus masculin le week‑end.
- Les actifs fortement diplômés viennent surtout le week‑end, empruntent beaucoup et restent peu sur place.
- Les actifs moins diplômés viennent plus facilement en semaine et séjournent un peu plus longtemps. Ils sont gros emprunteurs de DVD.
- Les retraités viennent à n’importe quel moment mais peu en soirée et aiment lire sur place.
Choisir des horaires c’est donc choisir des publics. Mais selon les endroits, ces publics sont ou pas susceptibles de venir et les besoins ne sont donc pas les mêmes.
Les choix horaires se décomposent à mon sens en six modalités :
- l’amplitude hebdomadaire qui permet de chiffrer une offre globale ;
- le nombre de jours d’ouverture et le choix de ceux-ci, ce qui comprend la quesiton du dimanche ;
- la pause méridienne, qui selon la configuration locale peut rendre incongru la fermeture de la bibliothèque ;
- l’heure de fermeture le soir ;
- la régularité des horaires d’un jour sur l’autre, permettant de les mémoriser ;
- les adaptations saisonnières, par exemple durant les vacances scolaires, les périodes d’examen ou la saison estivale.
En se concentrant sur les soirées et le week-end, la pétition Ouvrons plus les bibliothèques, traite une partie de ces questions et privilégie une partie des publics. Mais cette simplification est efficace et permet d’ouvrir la question générale des horaires. Une question bibliothéconomique, une question politique. Une question de service public.
Voir aussi :
Perrin, Georges. Accueillir de nouveaux publics ? Oui ! Mais quand ?, Bulletin des bibliothèques de France n°5, 2009.
Mon précédent billet sur ce sujet : Une bibliothèque doit être ouverte ou fermée, 11 novembre 2008.
[en bleu, réparation le 27/02/2014 d’un oubli et ci-dessous une brassée de liens tous frais ajoutés le 26 mars]
- http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/03/24/les-horaires-des-bibliotheques-en-debat_4388522_3260.html
- http://m.culturebox.francetvinfo.fr/aurelie-filippetti-2014-sera-lannee-des-bibliotheques-151843
- http://www.enssib.fr/breves/2014/03/24/quand-la-politique-sinvite-au-salon-du-livre
- http://www.liberation.fr/livres/2014/03/24/filippetti-veut-faire-de-2014-l-annee-des-bibliotheques_989735
- http://www.actualitte.com/bibliotheques/aurelie-filippetti-des-bibliotheques-les-plus-ouvertes-possible-49045.htm
- http://www.culturecommunication.gouv.fr/Actualites/En-continu/Bibliotheques-faciliter-encore-l-acces-a-la-lecture