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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

Métiers, métier : ni repli identitaire, ni frontières protégées !

Posted by Dominique Lahary sur 24 mai 2014

Le prochain congrès de l’ABF a lieu du 19 au 21 juin sur le thème Bibliothèques, nouveaux métiers, nouvelles compétences. L’hésitation entre le pluriel contenu dans le titre et le singulier utilisé dans le programme (un des sous-thème étant dénommé « les frontières du métier ») est révélateur. Un ou plusieurs métiers ? L’unicité revendiquée comme pendant humain de l’unité des bibliothèques renvoie souvent à une autre expression : « la profession », conçue comme une et indivisible, et à l’occasion revendiquée comme un « corps ». Il y a bien évidemment des milliers de professions, mais l’entre soi n’en voit qu’une et il est significatif qu’à travers ses refontes successives le site de la BnF ait conservé en tête de gondole sa rubrique « pour les professionnels » (sous-entendu « des bibliothèques »), alors qu’un service public de bibliothèque s’adresse a priori à toutes les populations, à toutes les professions.

Dessin D. Lahary

Dessin D. Lahary

Un métier est un concept, et tout ce qu’on demande à un concept est d’être opératoire. C’est un découpage arbitraire du réel. Il n’est donc pas étonnant que selon les approches on distingue un métier de bibliothécaire, transcendant les hiérarchies et les spécialisations, ou plusieurs.

J’ai trouvé mon chemin de Damas sur la question du métier en préparant une intervention pour le congrès de l’ABF de Vichy en 1994 consacré au thème du métier de bibliothécaire. Je le suis mis à rechercher et à lire de la littérature (documentaire, surtout pas bibliothéconomique) traitant de la notion de métier et j’ai pu distinguer trois acceptions très différentes du terme. On en trouvera le développement dans la version écrite de mon intervention (Le métier : discours et méthodes, 2e partie du texte Du profil de poste au métier), d’où j’ai tiré le mini-diaporama Les trois métiers que je présente très souvent lors d’interventions.

Trois métier, donc :

  • Le premier est une notion collective : le « métier de l’entreprise ». En ce sens on peut identifié un « métier de la bibliothèque », somme de ses fonctions dans la société.
  • Le second relève de la gestion des ressources humaines. Il est la somme des situations de travail entre lesquels une mêle personne peut exercer une mobilité sans avoir à se former à autre chose qu’une adaptation à un poste de travail. En ce sens on peut identifier suivant les bibliothèques un ou plusieurs métiers.
  • Le troisième relève de la psycho-sociologie : c’est le métier vécu, revendiqué. Celui qui permet à tout un chacun d’avoir du cœur à l’ouvrage en s’appuyant sur une identité collective.

Quant on confond ces trois acceptions du métier, on bloque toute analyse lucide. Souvent, c’est le troisième métier qui prend le dessus et domine les deux autres : ce point de vue autocentré conduit à définir l’utilité sociale à partir de ses propres motivations, et les fonctions des bibliothèques à partir des désirs de leurs personnels.

Et quand on mélange les statuts des fonctions publiques, définissant un métier par corps ou cadre d’emplois, la confusion est encore pire. Il es connu que toute « démarche métier » dans une collectivité territoriale doit mettre entre parenthèse le cadre statutaire pour définir correctement les métiers. déplorons au passage que lors de la réforme statutaire de 1991-1992 le terme « bibliothécaire » ait été attribué à un corps et cadre d’emplois, ce qui a créé une confusion durable dans cette problématique.

Respecter le métiers subjectif mais le laisser à sa place est de salubrité publique. Les aussi la distinction entre les métiers utiles en bibliothèque de la bibliothèque elle-même.

Il faut renverser le raisonnement : à partir de fonctions de la bibliothèque, déduisons-en les spécialités et compétences qui seront utiles à leur mise en œuvre (et on parlera alors de pluralité de métiers, ne se réduisant pas aux compétences bibliothéconomiques ni à la filière culturelle). Je rêve que l’ABF s’appelle un jour « association des personnels des bibliothèques et services associés » et non pas « des bibliothécaires ».

En préfiguration de son congrès, l’ABF publie dans le n°73 de Bibliothèque(s) un dossier intitulé Métiers et compétences, qu’il faut lire dans son ensemble. On y trouvera notamment mon article L’affaire de la virgule, un concentré d’histoire statutaire et professionnelle. où je reviens sur 25 ans de relation entre statuts et métier.

J’y montre que « la profession » (et j’en ai été) s’est construite en quelque sorte en autarcie, se reproduisant elle-même par la formation et bataillant contre tout aspect du cadre statutaire de nature à mettre en péril cette auto-reproduction. Il est possible que ce protectionnisme bibliothéconomique ait eu son utilité. Il me semble aujourd’hui hors de saison, et je décèle d’ailleurs dans mon article de forts indices de dégel.

ligneclaireDe même que je tiens les frontières de la bibliothèque comme nécessairement floues, variant suivant les situations et les politiques locales (voir mon billet et mon diaporama Non à la ligne claire !), de même il me semble que la bibliothèque a besoin de mélange : pluralité de métiers, pluralités de parcours. Il est naturellement utile qu’existe e France de solides formations aux métiers des bibliothèques, essentiel que persistent des associations professionnelles, une presse et des réseaux sociaux, mais de grâce, ne les enfermons pas derrière des frontières. Les bibliothèques s’enrichissent de gens qui viennent d’ailleurs et enrichissent les secteurs qu’investissent d’anciens bibliothécaires.

Je me souviens du tempinvasionss ou beaucoup ont colporté l’angoisse de l’invasion des enseignants, par le biais des mutations, et des batailles picrocholines ont visé des barbares osant être nommés à la tête d’une bibliothèque. Et à l’occasion y faisant merveille.

Alors, évitons le repli identitaire et méfions-nous des frontières protectrices.frontière

Et allons au congrès !

[Billet publié sous cette forme aux premières heures du 25 mai 2014. Le 24 vers midi j’avais publié le texte d’attente ci-dessous :

Je tenais au caprice de publier un billet sous ce titre précisément le 24 juin 2014 mais ne suis pas sûr d’y parvenir. A cet emplacement d’ici quelques heures ou quelques jours, on pourra lire un texte sur la question du ou des métiers, à l’occasion du prochain congrès de l’ABF a lieu du 19 au 21 juin sur le thème Bibliothèques, nouveaux métiers, nouvelles compétences et du n°73 de Bibliothèque(s) avec son dossier Métiers et compétences, à lire dans son ensemble et où j’ai publié un article intitulé L’affaire de la virgule, un concentré d’histoire statutaire et professionnelle. Dans la lignée de mon texte de 1994 Le métier : discours et méthodes et de l’animation Les trois métiers que j’en ai tirée et présente très souvent lors d’intervention,s je plaiderai pour une conception plurielle et ouverte du/des métier (et sur l’utilité de séparer mentalement « bibliothèques » et « métiers ». Allons au congrès !]

Références ajoutée le 27/05/2014 :

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2 Réponses vers “Métiers, métier : ni repli identitaire, ni frontières protégées !”

  1. bcalenge said

    Cher Dominique,

    Il me semble que ton billet mélange deux choses (et, ce faisant, aboutit à nier toute spécificité du métier que nous exerçons toi et moi) :

    – les métiers de la bibliothèque : je suis le premier convaincu qu’il faut ouvrir les bibliothèques à de multiples métiers, et pas seulement par nécessité, mais parce que c’est bénéfique pour l’entreprise bibliothèque. Je l’ai souvent écrit et proclamé : non, la bibliothèque n’est pas la « propriété » des bibliothécaires, et je suis heureux que soient appelés et acceptés comme collègues des informaticiens, logisticiens, administratifs, ingénieurs divers, spécialistes du marketing, scénographes, pros de la communication, etc. Je pense même (ô hérésie) qu’il y a trop de bibliothécaires dans les bibliothèques…

    – l’utilité (le métier ?) du bibliothécaire. Partant de ce que je dis plus haut, une question se pose alors : mais alors pourquoi ces drôles d’animaux qu’on appelle bibliothécaires ? Toi tu parles psycho-sociologie, moi j’y vois plutôt un métier -si ! si !- spécifiquement orienté vers la médiation des savoirs, un métier qui associe une passion des savoirs et un appétit du partage. A ma connaissance, les bibliothécaires (hors tout cadre statutaire, je partage ton regret devant cette appropriation statutaire) sont les seuls dans cette équipe aussi diverse que mobile à développer ce que je n’hésite pas à appeler un cœur de métier, dans la mesure où ils ont développé tout un ensemble de savoir-faire (politiques documentaires, bibliothèques numériques, etc.), et une déontologie de cette singulière ambition de partage.

    La « singularité » de ce métier ne tient pas à la conviction de ses acteurs. A la différence de l’administratif ou de l’informaticien évidemment nécessaire pour faire fonctionner les entreprises collectives, le bibliothécaire (entendu comme je le précise plus haut) n’existe qu’à proportion de l’ambition politique d’un partage du savoir, d’une volonté d’avoir une démocratie réelle, avec des citoyens éclairés…

    Amicalement,

    • Ah mais cher Bertrand,

      Mon billet n’avait pas pour but de définir un métier de bibliothécaire mais de dégager le terrain et tenter de déterminer à quelles conditions on pouvait raisonnablement parler métier(s).

      D’ailleurs à part quelques passages mineurs il est très neutre et pourrait être écrit pour à peu près n’importe quel métier. C’était exprès.
      Il visait aussi à déminer l’empire du métier vécu et à prendre pour base l’utilité des bibliothèques, leurs fonctions (que je mets avant les missions : https://lahary.wordpress.com/2009/01/06/missions-fonctions-politiques-publiques-pour-une-bibliotheque-non-unidimensionnelle/).

      Ta définition liée à la médiation à tout à fait ma sympathie, avec une précision et une restriction. La précision c’est qu’il ne s’agit pas seulement de la médiation d’une collection locale, pire, qu’on aurait soi-même constituée, mais également de la médiation d’oeuvres et ressources disponibles soit dans un ou des réseaux de bibliothèques soir sur le web, dans les nuages, etc. La restriction c’est que la médiation renvoie à une fonction documentaire et qu’il y a aussi des fonctions non documentaires des bibliothèques. (Et puis, ça et là, la conservation et même le catalogage sont des tâches utiles – je dis bien ça et là et surtout pas partout).
      Mais la médiation, c’est d’abord une des fonctions de la bibliothèque (« métier d’entreprise ») qui requiert ensuite des qualifications humaines.

      J’ai voulu aussi dire que que le découpage en métier était nécessairement arbitraire. Dans son premier recensement des métiers des bibliothèques publié en 1995 (http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1995-06-0017-003), Anne Kupiec et identifiait 31. C’était beaucoup et rien que de la bibliothéconomie.
      J’ai participé à deux démarches métiers : au début des années 1990 pour le CNFPT, au début des années 2000 dans ma collectivité. Chaque fois trois métiers spécifiques ont été identifiés : bibliotechnicien, bibliothécaire, directeur de bibliothèque. Mais je reconnais aussi la pertinence du métier générique de « bibliothécaire ».

      Et puis, tu y fais allusion, toutes sortes de métiers qui existent ailleurs sont utiles à l’occasion dans une bibliothèque (administratif, informaticien, animateur, …) tandis que des bibliothécaires exercent ailleurs qu’en bibliothèque.
      Enfin, je suis très sensible au fait que très souvent des personnes n’ayant pas un parcours initial de bibliothécaires s’excusent de ne pas en être quand ils interviennent dans une conversation, une journée d’étude, une formation ou même un service. C’est la terrible force intimidante de l’entre-soi. Or leur regard est souvent pertinent et leur contribution bienvenue.

      Amicalement de même.

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