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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

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Sous les horaires d’ouverture, le social (1/2)

Posted by Dominique Lahary sur 4 mai 2015

horloge-poingLa question des horaires d’ouverture des bibliothèques a été réactivée dans le débat public après les événements tragiques de janvier dernier. L’idée selon laquelle ces horaires sont insuffisants, inadaptés, se répand. Elle apparaît aujourd’hui comme une pensée dominante, voire un dogme.

Je n’énonce pas cela parce que je lui serais hostile : au contraire, je n’ai jamais écrit sur ce sujet que pour partager le constat de l’insuffisance et la nécessité de la dépasser. Cela n’empêche pas de s’interroger sur son contexte social, au sein des équipes de bibliothèque.

L’injonction d’adapter ou d’élargir les horaires leur apparaît souvent comme venant d’en haut, la hiérarchie, l’administration, les élus, ce que la plupart d’entre eux appellent « la tutelle » ; pire aux yeux de certain, elle s’impose « de l’extérieur », dans le débat public, par des élus politiques nationaux ou des ONG (comme Bibliothèques sans frontières).

Or cette injonction survient apparemment dans une période particulière : celle où les moyens des collectivités territoriales sont à peu près partout en baisse sans qu’aucune perspective d’amélioration à court et moyen terme ne soit crédible.

Le sentiment est donc répandu qu’on veuille charger la barque alors que celle-ci est déjà pleine à craquer.

Il existe bien sûr un débat intellectuel sur les horaires d’ouverture, exacerbé par la question du dimanche, si encombrée d’enjeux et de symbolique. Mais ce débat ne se déroule pas seulement dans le ciel éthéré des idées. Derrière les arguments discursifs, deux réalités sous-jacentes :

  • Personne n’est ravi, c’est bien normal, d’avoir à travailler durant la pause méridienne, de finir plus tard le soir ou d’être de service le dimanche, d’autant, c’est une réalité, d’autant que le personnel des bibliothèques municipales, intercommunales et universitaires est déjà fortement mobilisée samedi, contrairement à celui de la plupart des autres services de ces collectivités. Cela touche à la vie personnelle et familiale.
  • Le fonctionnement actuel de nombreuses bibliothèques permet difficilement, au moins en première analyse, de dégager du temps pour l’élargissement.

Le sentiment si répandu que la demande d’adaptation et/ou d’extension des horaires d’ouverture s’impose comme une contrainte de plus repose sur un postulat : rien ne doit être ôté du fonctionnement actuel, tout retrait apparaissant comme une régression du service public. Ce que dans mon précédent billet sur le sujet j’exprimais ainsi : « Si on ne peut ouvrir plus que si l’ensemble des autres activités sont pleinement assurées, c’est que les horaires d’ouverture sont LA variable d’ajustement. »

C’est que nous ne sommes pas seulement dans une période de baisse tendancielle de l’argent public. Nous vivons surtout une double révolution : celle absolument inouïe du numérique en réseau, qui vaut bien l’apparition de l’écriture ou l’invention de l’imprimerie et bouscule la société, l’économie, la culture, et cette autre propre aux bibliothèques, mais connectée aux évolutions de la société, qui étend et modifie la demande de bibliothèque, les usages de la bibliothèque.

Pour simplifier, on attend des bibliothèques plus que la mise à disposition de collections constituées lieu par lieu et étanches entre elles assorties de quelques actions de valorisation de celles-ci. Il ne s’agit pas de faire toujours plus mais de faire moins ici et plus là.

Passer moins de temps sur la constitution des collections locales et plus sur l’accueil, moins (ou plutôt plus du tout) sur leur catalogage et plus la médiation y compris de ce que la bibliothèque ne possède pas.

Bref une réduction de ce qui a été considéré comme le « cœur de métier » et une nouvelle gestion de celui-ci par davantage de mutualisation grâce à la montée de l’intercommunalité.

Or c’est bien là où le bât blesse, ou plutôt où le cœur saigne : une bonne partie des personnels des bibliothèques publiques ont construit leur identité professionnelle sur l’entretien souvent exclusif de ces collections locales. Il y a comme un conflit de temporalité entre une évolution sociale et technologique très rapide et l’inévitable lenteur des mentalités collectives. Et il y a, osons le mot, une souffrance dans bien des équipes, souffrance de voir la commande politique et hiérarchique changer, bousculer les priorités, remettre en cause une identité professionnelle qu’on croyait installée pour la vie.

Voilà pourquoi, dans bien des collectivités, la question des horaires d’ouverture soulève au mieux des réticences et des interrogations, au pire des blocages, des protestations, des résistances, des crispations. Qui s’expriment par la voie individuelle ou collective, souvent syndicale. Ou par le silence, qu’il faut savoir entendre.

Car on l’aura bien compris : dire que l’extension des horaires d’ouverture n’est qu’une question de moyens supplémentaires, c’est refuser d’examiner l’ordre des priorités.

Mais parmi les formules souvent envisagées réclamant quelques moyens supplémentaires, figure le recrutement de vacataires. Lequel suscite lui aussi réticences, objection, résistance, au motif que le service public serait bradé par une moindre qualité. Là encore nous touchons à l’identité professionnelle, blessée parce que d’autres pourraient accueillir et renseigner le public.

La question des horaires des bibliothèques publique n’est pas nouvelle en France : en 1991, l’ancien inspecteur général des bibliothèques Louis Yvert pouvait titrer un de ses articles dans le n°151 du Bulletin d’informations de l’ABF « La tâche qui reste à accomplir est immense » ou les heures d’ouverture des bibliothèques municipales. Mais comme depuis les progrès ont été très inégaux et souvent inexistants ou peu significatifs, des habitudes ont été prises qu’il est difficile de changer brutalement.

C’est pourquoi il me semble que la principale difficulté à laquelle se heurte tout projet d’adaptation et d’extension des horaires est d’ordre identitaire, ou plus globalement humain et, puisque nous sommes sur le terrain du travail, social. C’est-à-dire aussi, pour les hiérarchies, d’ordre managérial, même si nous ne sommes pas forcément partout dans un clivage binaire hiérarchie / équipe. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas pas seulement de travailler sur l’organisation des horaires… de travail, dont dépendent les horaires d’ouverture, mais sur le fond des choses, l’évolution des fonctions et missions des bibliothèques publiques en relation avec les mutations sociales et technologiques.

A cet égard, chaque situation locale est un cas particulier. Contentons-nous d’énumérer quelques mots ou expressions : écoute, démarche collective, négociation, compensations, mode projet, groupes de travail, ateliers, conférences, séminaires, échanges d’expériences. C’est facile à écrire : je souhaite sincèrement bon courage à toutes celles et tous ceux qui se retroussent les manches pour faire avancer cette cause d’intérêt public.

« Sous les horaires d’ouverture, le social », ai-je titré ce billet. Par le mot « social », je n’ai envisagé que les relations dans un milieu travail. Mais le social, c’est aussi la société : ce sera l’objet d’un autre billet.

Mes billets précédents sur la question des horaires d’ouverture :

 Mon diaporama du 22 janvier 2015 : Les horaires d’ouverture des bibliothèques, quelle histoire !

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Les horaires des bibliothèques, quelle histoire !

Posted by Dominique Lahary sur 31 mars 2015

Voilà que les bibliothèques sont dans le débat public. Cela n’arrive pas tous les jours, comment ne pas s’en réjouir. C’est à propos des heures d’ouverture. C’est à dire d’une demande de plus de bibliothèques, de lieux bibliothèques. On n’en est plus à entendre « avec Internet il n’y a plus besoin de bibliothèque ». Cela se savoure. La pétition Ouvrons plus les bibliothèques en janvier 2014 (suivie de la contre-pétition Ouvrir mieux) et , en ce début de 2015, en rafale : dans la foulée des attentats de janvier, la tribune de Jérôme Guedj dans Marianne, l’intervention de Patrick Weil sur France Inter ; puis l’amendement Filippetti à la loi Macron, enfin la mission confiée par Fleur Pellerin à la sénatrice Sylvie Robert. Le dossier à été suffisamment documenté. Nous disposons de statistiques, d’études, de comptes rendus et de témoignages. Une chose est claire . Dans les bibliothèques publiques françaises (car la moyenne d’ouverture en bibliothèque universitaire est de 60 heures), à effectif égal, malgré de louables avancées ici et là, les heures d’ouverture sont à la fois insuffisantes et peu adaptées.

Certes, il faut se défier des moyennes qui surévaluent la place des équipements en petites communes, très nombreux en France. Certes, l’adaptation ne veut pas dire uniformité des solutions quelle que soit la taille et l’environnement humain de l’établissement (midis, soirs, dimanche). Certes, il est légitime que pour les plages horaires spécifiques de justes compensations soient négociées. Mais tout ceci ne condamne pas à l’immobilisme.

J’ai déjà publié deux billets de blog sur cette question : le 11 novembre 2008 sous le titre Une bibliothèque doit être ouverte ou fermée et le 25 février 2014 sous le titre Communiquer sur les bibliothèques…ouvertes, Ayant eu récemment l’occasion pour une intervention de refaire le tour de la question, je ne développerai ici que deux idées présentées dans mon diaporama.

Le temps, c’est un service. anticafeL’ouverture c’est la condition d’accès aux services et, hormis le service du prêt pour ceux dont les disponibilités sont flexibles ou routinières, aucune plage n’est remplaçable par une autre, n’est déplaçable. Mais l’ouverture est aussi un service en soi. Elle donne la possibilité de rester, de revenir. Elle est la condition première des usages sur place, si divers au point que nous ne les connaissons ou ne les comprenons pas tous. J’ai compris cela en tombant par hasard, dans une rue de Paris, sur l’anticafé, un café où on ne paie pas les consommations, mais le temps passé. Le temps, c’est le service.

L’ouverture ne doit pas être la variable d´ajustement. Si on ne peut ouvrir plus que si l’ensemble des autres activités sont pleinement assurées, c’est que les horaires d’ouverture sont LA variable d’ajustement. La qualité à 100% au détriment de l’ouverture n’est pas la qualité du service public mais la surqualité contre le public.

A lire :

Et aussi deux rapports de l’inspection générale des bibliothèques (références ajoutées le 3 mai 2015) :

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Communiquer sur les bibliothèques… ouvertes

Posted by Dominique Lahary sur 25 février 2014

Je suis de ceux qui ont un moment rêvé d’une campagne de communication sur les bibliothèques (non pas pour elles, mais sur leur utilité dans la société, sur les services qu’elles rendent). Nous l’avons rêvé… Bibliothèques sans frontières (BSF) l’a fait !

Lancé dans les tout premiers jours de janvier, la pétition Ouvrons + les bibliothèques a immédiatement reçu un très large écho dans la presse écrite (papier et en ligne) et audiovisuelle.

C’est une pétition éminemment positive, qui promeut le besoin de bibliothèques, l’utilité des bibliothèques : « La bibliothèque a aujourd’hui bien plus à offrir qu’une collection de livres. Elle donne un accès privilégié à la culture, à l’information et aux nouvelles technologies. Elle peut être un lieu de travail individuel ou de réunion pour monter des projets (d’association, d’entreprise, etc.). Elle est essentielle pour la réussite des étudiants et des lycéens, notamment les plus modestes. Les citoyens ont besoin des bibliothèques, et les bibliothèques doivent s’adapter aux besoins de leurs publics pour assurer leur avenir ». Et la presse a relayé ce besoin.

Ouvrons-+-les-bibliothèquesC’était finalement la bonne idée, que de communiquer à partir d’un manque. « Ouvrons plus les bibliothèques », cela veut aussi dire « Nous voulons plus de bibliothèque », certes dans l’espace, mais aussi dans le temps.

La charte que BSF propose aux candidats aux municipales de signer est en tous points remarquable. S’appuyant sur « les principes à valeur constitutionnelle de continuité et d’égalité devant le service public », elle demande l’élargissement des heures d’ouverture « selon l’étude préalable des enjeux locaux, des usagers et de leurs besoins », « la coordination des structures locales », recommande « [d’]associer les professionnels et [de] respecter le métier de bibliothécaire », en suggérant notamment le respect de « leurs conditions de travail » et « des compensations suffisantes pour le travail dominical et du soir »,  proclame qu’il faut « accorder des moyens suffisants » tout en admettant l’utilité de « réorganisation internes » et enfin promeut « l’ancrage des bibliothèques au cœur de la vie publique ».

L’insuffisance globale des heures d’ouverture des bibliothèques, particulièrement des bibliothèques publiques en France est un fait connu. Avant même les deux rapporte de l’Inspection générale des bibliothèques sur le sujet (Améliorer l’accueil dans les bibliothèques : Propositions pour une extension des horaires d’ouverture par Georges Perrin avril 2008  et L’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques : progrès et obstacles par Dominique Arot, novembre 2012), j‘avais été frappé par l’article de Peter Borchardt Les bibliothèques de lecture publique en France vues d’Outre-Rhin (Bulletin des bibliothèques de France, n° 5, 2002). S’appuyant sur une observation ayant durée une vingtaine d’année, ce collègue allemand, après avoir noté l’engagement de l’Etat, dis son admiration pour l(architecture de nos bâtiments et la richesse de nos programmes d’action culturelle. Mais il a cette remarque cruelle : « Ce qui ne manque jamais d’étonner les bibliothécaires allemands, c’est la disproportion entre l’effectif du personnel et les heures d’ouverture ».  Et de pointer le faible niveau de coopération (« On a l’impression que chaque bibliothèque travaille pour elle-même ») et « la persistance du catalogage local et le temps qui lui est consacré ». J’avais l’année suivante résumé ainsi ce diagnostic : « Une bibliothèque publique à la française, c’est un établissement où on passe beaucoup de temps à faire autre chose qu’accueillir le public » (Lecture publique et territoires : essai de rétroprospective. Journées d’étude de l’ADBDP de novembre 2001, http://www.adbdp.asso.fr/Le-developpement-territorial-de-la).

Le grand mérite de cette campagne est de donner un coup de boutoir tout en valorisant les bibliothèques. Et ce coup de boutoir ne pouvait venir que de l’extérieur du milieu professionnel lui-même. Une partie de ce dernier, c’était prévisible et explicable, a réagi par une contre-pétition, Ouvrons mieux les bibliothèques, qu’on peut entendre et respecter, mais qui n’a aucune chance d’obtenir le même écho.

Les deux clés sont dans la charte proposé par BSF aux élus à à ceux qui veulent l’être : des moyens, mais aussi une politique de l’emploi adaptée (avec un volant de vacataires), de la mutualisation, des réorganisation internes. Les bibliothèques universitaires n’ouvriraient pas en moyenne 60 heures s’il n’y avait pas les moniteurs étudiants.

acces-horaire-bib-idfIl faut naturellement moduler les projets d’horaires en fonction des moyens. Mon étude de septembre 2011 portant sur l’Île-de-France et mise en ligne par le MOTif, Observatoire du livre et de l’écrit en Île-de-France, montre notamment la relation entre ouverture et population municipale. Et en complément des moyens d’heures d’ouverture généralement présentées, j’y calcule la population ayant accès à telle amplitude horaire, ce qui minimise l’impact des établissements les moins ouverts. Toutes les collectivités n’ont pas les moyens d’ouvrir autant, il n’est pas partout pertinent d’ouvrir le soir ou le dimanche. Mais oui, d’une manière générale, en France, on pourrait faire mieux. Il faut faire mieux.

Dans son étude Happy Hours : Impact des horaires d’ouverture sur les usages et fréquentations en bibliothèque publique de juin  2011 , le MOTif a mis en évidence six profils typiques d’usagers qui se distinguent par leur demande en matière d’horaires d’ouverture :

  • Les étudiants et lycéens) sont gros utilisateurs des espaces, viennent souvent, restent longtemps, empruntent peu. Ils sont prêts à venir plus encore, happy-hoursjusqu’à une heure avancée le soir, pendant les week‑ends et les vacances scolaires, voire en matinée.
  • Les demandeurs d’emploi ont des habitudes proches de celles des étudiants
  • Les adultes accompagnés d’enfants viennent les mercredis et en week‑end et empruntent beaucoup ; c’est un public féminin le mercredi, plus masculin le week‑end.
  • Les actifs fortement diplômés viennent surtout le week‑end, empruntent beaucoup et restent peu sur place.
  • Les actifs moins diplômés viennent plus facilement en semaine et séjournent un peu plus longtemps. Ils sont gros emprunteurs de DVD.
  • Les retraités viennent à n’importe quel moment mais peu en soirée et aiment lire sur place.

Choisir des horaires c’est donc choisir des publics. Mais selon les endroits, ces publics sont ou pas susceptibles de venir et les besoins ne sont donc pas les mêmes.

Les choix horaires se décomposent à mon sens en six modalités :

  • l’amplitude hebdomadaire qui permet de chiffrer une offre globale ;
  • le nombre de jours d’ouverture et le choix de ceux-ci, ce qui comprend la quesiton du dimanche ;
  • la pause méridienne, qui selon la configuration locale peut rendre incongru la fermeture de la bibliothèque ;
  • l’heure de fermeture le soir ;
  • la régularité des horaires d’un jour sur l’autre, permettant de les mémoriser ;
  • les adaptations saisonnières, par exemple durant les vacances scolaires, les périodes d’examen ou la saison estivale.

En se concentrant sur les soirées et le week-end, la pétition Ouvrons plus les bibliothèques, traite une partie de ces questions et privilégie une partie des publics. Mais cette simplification est efficace et permet d’ouvrir la question générale des horaires. Une question bibliothéconomique, une question politique. Une question de service public.

Voir aussi :

Perrin, Georges. Accueillir de nouveaux publics ? Oui ! Mais quand ?, Bulletin des bibliothèques de France n°5, 2009.

Mon précédent billet sur ce sujet : Une bibliothèque doit être ouverte ou fermée, 11 novembre 2008.

[en bleu, réparation le 27/02/2014 d’un oubli et ci-dessous une brassée de liens tous frais ajoutés le 26 mars]

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Une bibliothèque doit être ouverte ou fermée

Posted by Dominique Lahary sur 11 novembre 2008

La Gazette des communes, des départements et des régions publie en pp. 34 à 36 de son numéro du 27 octobre 2008, sous la signature d’Hélène Girard, un article intitulé Bibliothèques : pari sur l’extension des horaires qui fait un bon état de la situation : insuffisance française des horaires d’ouverture des bibliothèques publiques, coût de leur extension, utilité de recourir à de vacataires et difficultés corporatistes parfois soulevés par leur présence, nécessité à la fois du volontarisme mais aussi d’une bonne préparation pour réussir une telle entreprise. L’extension, ce peut être le dimanche, quand c’est opportun. Mais aussi d’autres jours. C’est aussi la simplification des horaires : les mêmes tous les jours, sinon c’est incompréhensible. L’extension est évidemment fonction de la taille de la collectivité : on ne peut pas ouvrir 60 heures partout.

Il devient de plus en plus évident que les bibliothèques sont des LIEUX.

Des lieux dont la population s’empare pour toutes sortes d’usage qu’il convient, pour la plupart d’entre eux, de respecter. Des lieux publics. Un service public des lieux.

Des lieux publics doivent être ouverts le plus possible, c’est une évidence. Cela nécessite de penser l’organisation du travail, la mobilisation des compétences, la politique d’emploi, en fonction de cette mission.

C’est l’occasion de lire ou de relire le rapport remis par l’inspecteur général Georges Perrin en avril aux ministres de la culture et de l’enseignement supérieur sous le titre Améliorer l’accueil dans les bibliothèques : propositions pour une extension des horaires d’ouverture.

A la remarque suivante de la Gazette des communes « Nombre de bibliothécaires disent que l’extension des horaires est très difficile à mettre en œuvre. » Georges Perrin répond : « Effectivement, ce n’est pas facile, Cela tient au fait que la plupart des structures fonctionnent de façon trop traditionnelle, avec une organisation interne trop cloisonnée et un souci. certes légitime. mais disproportionné. du traitement des collections et du circuit de la documentation. Il est temps de revoir la hiérarchisation des missions des bibliothèques, la première étant d’accueillir le public lorsqu’il est disponible. Il faut également instaurer davantage de transversalité pour recréer de la polyvalence. Tous les bibliothécaires devraient retrouver le contact direct avec le public. »

Les bibliothèques universitaires françaises, qui ont souvent le défaut de trop fermer durant les vacances universitaires, sont tout de même ouvertes en moyennes 57 heures par semaine, contre 19h30 pour les bibliothèques municipales (30 heures dans les communes de plus de 30 000 habitants).

Réponse du 16 novembre 2008 aux commentaires postés

Je note derrière la plupart des commentaires un malentendu qui conduit à préciser les choses : la question des horaires est évidemment dépendante de la taille du bassin de population concerné et des moyens des communes. Je l’ai dit mais dois le redire encore plus fort et en donne bien volontiers acte. Quand on le lit sérieusement, on voit bien que le rapport Perrin porte surtout sur les grandes villes universitaires, pour lesquelles il propose des une démarche concertée université-collectivité locale avec le soutien financier de l’Etat. Il étudie d’ailleurs un panel de 22 villes ou la moyenne d’ouverture des bibliothèques municipales est de 39 heures par semaine (58 pour les BU).

Dans ce contexte, oui, les moyennes sont trompeuses, et celle qui me paraît la plus intéressante concerne les communes de plus de 30 000 habitants. Quant aux comparaisons internationales, elles mériteraient naturellement d’être effectuées pour toutes les tailles de population. Quant on cite les horaires d’ouverture dans de grandes métropoles, comme le fait la Gazette (40 à 67 heures pour Copenhague, Amsterdam, Helsinki, Birmingham, Helsinki, Turin, Valence, etc.), on ne parle des grandes métropoles, c’est bien évident.

J’ajouterais de plus que s’il y a en France énormément de communes, il y a aussi, me semble-t-il, énormément de petites bibliothèques à ces niveaux de population où on ne trouve guère d’équipement dans d’autres pays, en Allemagne par exemple. Il y aurait d’ailleurs là une intéressante étude à mener et je n’ai pas connaissance qu’elle l’ait été.

Rassurez-vous, on n’ouvre guère 30 heures en-dessous de 10 000 habitants, cela se comprend.

D’autre part, la contribution de Bernard Majour apporte de nombreux éléments intéressants à verser au dossier, et pas seulement pour les petites bibliothèques ! Je souscris à la plupart.

Cela n’empêche : il y a bien à mon avis, comme à celui de bien d’autres, un problème des heures d’ouverture des bibliothèque publiques en France, et sans doute des oppositions frontales sur cette question et sur le contexte auquel le rattacher. Assumons-les. Je me souviens encore de cette remarque de notre collègue allemand Peter Borchardt dans on article Les bibliothèques de lecture publique en France vues d’Outre-Rhin paru dans le Bulletin des bibliothèques de France n°5 de 2002, qui comportait à part cela de nombreuses appréciations élogieuses :

« Ce qui ne manque jamais d’étonner les bibliothécaires allemands, c’est la disproportion entre l’effectif du personnel et les heures d’ouverture. Nous constatons régulièrement que bien que les bibliothèques françaises disposent de plus de personnel que les bibliothèques allemandes, elles n’en continuent pas moins à offrir beaucoup moins d’heures d’ouverture. On voit bien que le dispositif français n’est pas organisé pour profiter des expériences et des travaux d’autres bibliothèques. On a l’impression que chaque bibliothèque travaille pour elle-même et qu’il n’existe pas de dispositif de coopération qui pourrait réduire les charges de travail interne du personnel, notamment en matière de constitution des fonds et de catalogage. »

Et j’ajoute ces extraits d’interviews menés en 2005 par l’équipe du Crédoc pour l’enquête qui a abouti à la publication de l’ouvrage Les bibliothèques municipales en France après le tournant Internent : attractivité, fréquentation et avenir, Bibliothèque publique d’information, 2007 (coll. Études et recherches) :

« Les horaires [de la bibliothèque], ça correspond aux horaires de travail, ce n’est pas très pratique. »

« Ce n’est pas adapté à la vie professionnelle. Il faut être à la retraite. »

« On devrait pouvoir y aller en emmenant les enfants à l’école ou après les avoir amenés, mais c’est fermé. »

« J’aimerais venir plus souvent mais, pour moi, c’est une contrainte de venir le samedi. »

« Les horaires sont trop compliqués. Tous les jours à la même heure, ce serait plus simple. »

« Pendant les vacances, je me fais toujours avoir, je ne sais jamais quand on peut venir. »

« Dans l’idéal, il faudrait que ce soit ouvert le dimanche matin. Les musées sont bien ouverts le dimanche. »

« Le dimanche, on pourrait emmener les enfants, quand on se promène et qu’on n’a pas grand chose à faire. »

« Il faudrait une boîte à l’extérieur pour déposer les livres. »

Je les citais dans mon introduction à un atelier organisé en décembre 2007 par le CNFPT dans le cadre des le cadre des entretiens territoriaux de Strasbourg sur le thème Nouvelles mobilités, nouveaux rythmes : Quels enjeux pour les services publics de la culture ?

Quelques remarques complémentaires :

  • C’est un sujet de politique publique locale qui ne concerne pas que les bibliothécaires, mais aussi les élus et cadres dirigeants territoriaux, et pend place dans la problématique plus générale de l’ouverture et de l’accessibilité des services publics(voir les démarches de type « bureau du temps » dans certaines municipalités).. C’est pourquoi il en est question dans la Gazette des communes. Dans mon article L’agent c’est de l’argent, paru dans BIBLIOthèque(s) n°40, octobre 2008, je fais l’hypothèse que l’amplitude d’ouverture est souvent une variable d’ajustement, une résultante des ressources allouées et de la façon dont elles sont utilisées. Elle devrait plutôt faire l’objet d’une politique consciente (toujours rapportée, naturellement, aux ressources raisonnablement disponibles).
  • La question des moyens n’est pas occultée par l’article de la Gazette ni le rapport Perrin, qui préconise l’emploi vacataire étudiant et recommande des aides de l’Etat. Mais cette question ne dédouane pas d’une réflexion sur la nature des tâches ni même sur la structure de l’emploi. On en reparlera par exemple quand on aura cessé de faire du catalogage artisanal ou de passer du temps à modifier des notices récupérées.
  • L’extension et/ou l’adaptation des horaires d’ouverture, répond principalement à deux besoins : emprunter/rendre, utiliser le lieu. Pour emprunter/rendre, il est commode de disposer de larges plages, à moduler selon les rythmes spécifiques de la population locale. Mais pour utiliser le lieu, l’extension est aussi commode. Je dirais que plus la bibliothèque est un lieu de séjour, plus les horaires devraient être larges, ne serait-ce que pour le public étudiant, s’il existe (dans une ville universitaire, bibliothèques publiques et universitaires accueillent de concert les étudiants, qu’on le veuille ou non, et voilà notamment pourquoi on en compare les hotaures d’ouverture). On n’ouvre pas seulement pour les emprunteurs, je renvoie aux conclusions de l’enquête du Crédoc. Il n’y a pas de rapport direct entre cette question et celle de la baisse (ou stagnation) des prêts et toute corrélation qui serait faite entre les deux devrait être démentie. Il y a par contre un rapport entre des heures d’ouverture large et la fréquentation d’un public occasionnel, qui selon les enquêtes est de plus en plus nombreux. Plus une bibliothèque est ouverte à la société, plus la frange d’usagers occasionnels s’accroît. Pour être ouvert à la société, il faut être ouvert, tout simplement, quand un cercle d’habitués peu s’accommoder d’horaires qu’il maîtrise.
  • Le temps passé pour l’accueil du public spécifique est évidemment à prendre en compte à divers titres (cela fait partie des publics touchés, cela prend du temps au personnel, cela peut dans certain cas empêcher l’accueil du public général) mais du point de vue du besoin d’ouverture à tous, c’est hors sujet.
  • Enfin, en ce qui concerne la fonction documentaire des bibliothèques, qui n’est pas la seule, répétons-le, il y a deux moyens, à part les horaires, pour faciliter la vie des gens : mettre des boîtes à documents (ça c’est 24/24 et 365/265) et permettre, dans le cadre de réseaux, de rendre ses documents ailleurs qu’à l’endroit où l’on a emprunté.

Je n’ai pas parlé du dimanche ? Parce qu’il n’y a pas à focaliser là-dessus, c’est une modalité parmi d’autre d’adaptation des plages d’ouverture. Mais quand on la pratique, ça marche, et un autre public vient. Peut-être veut-on fermer tout le week-end les musées, les cinémas et les théâtres… et les transports en commun ?

Je termine par une remarque personnelle : je n’ai certainement pas fait tout ce qui était en mon pouvoir, dans ma carrière professionnelle, pour faciliter les extensions d’horaire. Je prends ma part du problème.


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