« Lire, comme respirer, est une fonction qui nous définit ».
Cette phrase dite par Alberto Manguel, Président du jury du Prix Inter 2008, passait ces dernière semaines sur France-Inter. Je reconnais naturellement à l’écrivain de la lecture, qui fut le lecteur de Jorge Luis Borges, le droit de le penser et de le dire. Faut-il la reprendre à notre compte en tant que bibliothécaire ? Je pense le contraire.
Alberto Manguel écrit sur la bibliothèque (La bibliothèque la nuit, Actes-Sud, 2006). Il est volontiers invité dans les bibliothèques. Lisez la belle intervention qu’il donna au congrès de Paris de l’ABF en 2006 et modestement titrée La bibliothèque hier, contre-pied du titre du congrès : La bibliothèque demain : « Je suis conscient que vous avez, vous autres bibliothécaires, la tâche difficile de réfléchir à ce que seront nos bibliothèques dans les temps à venir. Mais moi, en tant que lecteur, je ne suis pas équipé pour aborder le sujet de l’avenir ».
Non, lire n’est pas comme respirer, car tout homme respire et tout homme ne lit pas. Dans l’histoire de l’humanité, la plupart des hommes n’ont pas lu.
Certes, le mot lire est piégé. On le cantonne souvent au papier, contre les écrans ; au livre, contre le périodique, l’affiche, les signalisations diverses ; au roman, contre le documentaire ; à la littérature légitime ou lettrée, contre toutes les autres. Mais quel que soit le sens donné à ce mot, dans l’histoire de l’humanité, la plupart des hommes n’ont pas lu et aujourd’hui encore une immense proportion ne lit toujours pas.
Est-ce que tous ces hommes n’ont pas respiré, ne respirent pas ? Non bien sûr. Ont-il été, sont-ils, sans richesse culturelle ? Evidemment non.
Il me semble important, quand on est bibliothécaire, de ne pas faire de la lecture, aux sens les plus extensifs ou les plus restrictifs, l’alpha et l’omega de l’humanité. Grâce à la lecture, et donc aux bibliothèques (ou aux librairies, ou à quiconque prête ou donne à lire), des gens accèdent à une part d’humanité qu’ils n’auraient jamais atteinte. D’autres y accèdent sans lecture.
Pour autant que nous soyons une profession du livre (ce qui est réducteur), nous ne sommes dépositaire d’aucune voie unique d’accès à je ne sais quel salut. Il me semble utile de poser cela, d’abord.