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Les tarifs des bibliothèques sont des frontières qu’on impose

Posted by Dominique Lahary sur 3 juin 2019

Il fut un temps où les frontières communales étaient aussi fiscales : des droits étaient perçus à l’entrée de nombre d’entre elles. Cet octroi, à qui nous devons de belles « barrières » comme celles de Claude-Nicolas Ledoux à Paris, ont duré du Moyen-âge à… 1943. Mais des octrois existent toujours : ce sont les tarifs des bibliothèques publiques.

Le bureau d'octroi de Decize (Nièvre)

Le bureau d’octroi de Decize (Nièvre) Photo Dominique Lahary – CC NC

Il est courant et peut sembler naturel de pratiquer, pour les bibliothèques comme d’autres services locaux, des tarifs « hors communes ». On voit le raisonnement : ce sont les contribuables de la localité qui par leurs impôts financent le service. Il comporte une faille béante : les gens de vivent pas claquemurés dans des frontières communales : ils circulent, étudient, travaillent, consomment, se distraient, se cultivent, se rencontrent à l’échelle de bassins de vie. Les bibliothèques illustrent, parmi d’autres services, cette réalité. Il y a la logique de proximité : on se rend à celle qui est la plus proche de son domicile ou bien encore de son lieu d’étude ou de travail, de loisir ou encore d’achalandage commercial. Et celle de l’attractivité : une partie des gens vont se rendre expressément là où ils savent trouver de la place, des services, des ressources qui leurs conviennent.

Pour satisfaire tous ces besoins et être au plus près de toutes les populations, on sait bien qu’il faut assurer un maillage territorial combinant bibliothèques de proximité et médiathèques attractives. Leur mise en réseau permet par une libre circulation des usagers et une mise en commun des ressources une égalité d’accès à celles-ci tout en facilitant leur bonne gestion.

Au lieu de cela, les territoires hérissés de tarifs obligent les populations à zigzaguer, tordant totalement une circulation naturelle être équipements de proximité et équipements rayonnants. Ces protectionnismes ont un coût : multipliant les obstacles à l’utilisation des services de bibliothèque, ils amoindrissent l’utilité de chacun.

Dessin "Au- de cette limite votre carte de bibliothèque n'est plus valable"

Dessin de Dominique Lahary – CC BY-NC

Ils ont aussi, fréquemment un effet : écartant une population voisine réputée d’un niveau social inférieur, ils participent à la panoplie de dispositifs conscient et inconscients, gérés politiquement ou économiquement ou encore résultant des choix de chacun, qui organisent la ségrégation territoriale, autrement dit la spécialisation sociale des territoires.

 

Le summum fut atteint au début de l’année 2018 quand une municipalité imposa aux « hors communes » un tarif, non seulement pour emprunter mais aussi pour avoir le droit de pénétrer dans les locaux. Elle renonça à cette deuxième partie de son dispositif d’exclusion après que ce fut exprimée une émotion publique, à laquelle l’ABF a pris part[1].

Combien de démarches de coopération intercommunale ont buté sur la difficulté pour les communes concernées à se mettre d’accord sur les tarifs ? Il faut parfois des années pour se mettre d’accord même si certains territoires ont réussi à franchir rapidement cet obstacle.

Il y a à cet égard un pis-aller : le tarif « hors intercommunalité ». Pis-aller car c’est ne pas reconnaître que les périmètres intercommunaux ne correspondent jamais tout-à -ait aux bassins de vie.

Mais il est d’autres barrières : entre les âges, les conditions, les supports. Les deux premiers s’entendent quand ils permettre de proposent la gratuité au moins aux mineurs ou lieux encore aux moins de 24 ou 25 ans, aux demandeurs d’emplois ou bénéficiaires de minimas sociaux.

Celle des supports, même si elle peut subsister ici ou là[2], semble vraiment d’un autre âge. Comment imaginer ériger ainsi des barrières entre des modes d’expression culturelle et artistiques ? L’incongruité de cette démarche apparaît d’autant plus à une époque où se multiplient les accès marchands gratuits ou forfaitisés à faible coût.

Foin des barrières ? Il est un moyen imparable pour régler le problème : c’est la gratuité pour tous. Installée depuis longtemps dans de nombreuses bibliothèques et des réseaux intercommunaux, elle connaît des reculs, comme à Limoges, mais aussi des avancées, comme à Metz, Bordeaux, Grenoble ou Hyères. Mais ceci est une autre histoire qui mériterait tout un dossier.

Pour l’accès aux ressources et services de bibliothèques, défendons le libre parcours !

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Ce texte fait écho à l’excellent article de Claire Gaudois « Quand les réseaux questionnent les frontières » paru dans la non moins excellente revue de l’ABF Bibliothèque(s) n°96-97, juin 2019, pp. 39 sqq.

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[1] Voir notamment le communiqué de l’ABF du 15 février 2018 : http://www.abf.asso.fr/1/22/749/ABF/-communique-labf-reste-vigilante-sur-lacces-libre-aux-bibliotheques.

[2] Dans les bibliothèques de la ville de Paris, il faut s’acquitter annuellement d’un droit de 30,50 € pour pouvoir emprunter des CD musicaux et de 61€ pour disposer de CD musicaux et de DVD : https://bibliotheques.paris.fr/sinscrire-en-bibliotheque.aspx.

Voir aussi ma tribune dans La Gazette des communes, des départements et des régions n°8/20404, 26 février 2018
Concevoir les services de bibliothèque à l’échelle des bassins de vie

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