Il ne paye pas de mine. C’est une modestie sur roulette, une humilité pratique, un simple dispositif technique accordant au document rendu par l’usager un temps de latence avant son rangement en rayon.
Oui mais voilà : bien souvent ce document ne rejoint pas sa place assignée car il est repris par un autre usager.
On pourrait n’y voir qu’un gain de temps appréciable : c’est toujours ça de moins à ranger. Mais c’est bien plus.
On sait bien que nos chariots de retour sont, pour peu que le public y ait accès, des pôles d’animation. On s’y presse comme au comptoir du bistrot, on y farfouille, seul ou à plusieurs, on y papote et on s’y sert. Pratique ! Pas besoin de se fatiguer à déambuler entre les rayonnages. Une commodité pour gens paresseux, pressés, suiveurs : puisque c’est là, c’est que des gens les ont pris, alors ça doit être bien.
Je ne crois pas un mot de ces deux dernières phrases, ou plutôt, je ne vois pas le chariot sous cet angle.
Car que dit l’engouement de tant de gens pour ce modeste élément de mobilier mobile ?
Il dit qu’on aime à farfouiller dans un petit choix.
Qu’on aime farfouiller tout court, comme dans le bac à chaussettes de certains commerçants.
Qu’on est attiré, au milieu de l’impressionnante galerie des œuvres proposées, rangées en rang d’oignon, par celles qui ont déjà servi et se présentent dans un aimable fatras.
Le chariot de retour, c’est la tête de gondole garnie par les usagers eux-mêmes, c’est la prescription entre pairs. Un petit bout d’horizontalité roulante dans la cathédrale (ou la chapelle) verticale.
Voilà pourquoi je me gendarme quand, appelé à donner mon avis sur un projet d’aménagement de bibliothèque, je constate que les chariots ne seront pas libérés au milieu des gens. Je hais les banques qui les emprisonnent ou les tapis roulants où disparaissent immédiatement, dès que rendus, les documents voués à un tri automatique.
Avec ce petit ustensile roulant il y a moins à ranger, et les gens adorent : tout le monde y gagne.
Libérons les chariots de retour !