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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

Six hypothèses sur le numérique et les bibliothèques publiques

Posted by Dominique Lahary sur 9 février 2009

Je propose les six hypothèses emboîtées suivantes, sans prétention à l’infaillibilité.


A. Pour le grand public, le numérique c’est pour l’essentiel des ressources gratuitement accessibles, que ce soit légal ou non, sur Internet. Ils se débrouillent tout seuls, à domicile, au bureau, en cybercafé ou en bibliothèque, qui n’ont guère de maîtrise sur les contenus. Tout au plus peuvent-elles plus ou moins avoir à aider, à orienter. Voilà pour l’essentiel le contexte des bibliothèques publiques ni spécialisées ni patrimoniales. (Les cas des bibliothèques universitaires d’une part et de la Bibliothèque nationale d’autre part sont complètement différents).

Hypothèse numéro 1 : avec le numérique de masse, le rôle des médiathèques publiques mute essentiellement de la fourniture de ressources vers l’orientation sur les ressources.

On ne donne plus de poisson, on apprend à pêcher.

Ceci concerne : la documentation, la musique, de plus en plus le cinéma.

B. Le cas du livre est particulier : le livre électronique, conçu de façon immatérielle (un fichier qui sera le plus souvent lu sur un PC) ou physique (une tablette de lecture) est toujours à l’état de marché de niche. Ce qui ne décolle pas (ou pas encore) dans le commerce ne décolle pas non plus dans les bibliothèques. Mais on peut nourrir un marché de niche pour satisfaire un public marginal, encourager l’usage des TIC et expérimenter.

Hypothèse numéro 2 : les bibliothèques publiques peuvent mettre à la disposition de leurs usagers des ressources textuelles en ligne en payantes pour elle (problématique classique de l’achat pour la mise à disposition). C’est une action marginale pour des publics marginaux, qui est encore au stade expérimental

C. La musique et le cinéma en ligne payants sont aussi des marchés de niche puisque beaucoup de gens se débrouillent pour pirater. L’offre légale payante qui se développe est notamment le fait de fournisseurs d’autres services (comme la téléphonie) se situant en dehors des circuits de distribution par les bibliothèques.

Hypothèse numéro 3 : Pour des raisons différentes puisque l’usage numérique de masse est déjà là, la musique et le cinéma payants en ligne relèvent également pour les bibliothèques de l’action marginale et expérimentale.

D. La numérisation des fonds de chaque bibliothèque n’a aucun intérêt en soi, sauf dans le cas où la communication de la copie numérique d’un documents physique acquis est, contractuellement ou légalement, admise. La numérisation la numérisation du patrimoine écrit, musical, vidéo et graphique est au contraire un enjeux politique essentiel car si la puissance publiques s’en abstient, le nouveau monde que constitue le Net sera entièrement privé et l’intérêt public n’y sera pas défendu.

C’est donc une entreprise politique à mener à différents niveaux pertinents (européen, national, régional, etc.)

Hypothèse numéro 4 : La numérisation n’a pas à porter sur des exemplaires détenus par telle ou telle bibliothèque, sauf communication admise d’un double numérique d’un exemplaire physique mais sur des oeuvres. La numérisation d’intérêt public du patrimoine écrit, graphique, sonore et cinématographique relève de différents niveaux de puissance publique. La plupart des bibliothèques publiques locales ne sont en rien concernées.

E. Internet n’est pas seulement une plate forme d’accès à des oeuvres mais une plate-forme de services de toutes sortes. La conformité des bibliothèques à leur époque passe aussi par le développement de services en ligne qui transposent, complètent ou remplacent selon les cas les services physiques de médiation, d’information, d’animation cultuelle et scientifique.

Hypothèse numéro 5 : Le développement de services en ligne constitue l’essentiel de la tâche numérique de la plupart des bibliothèques publiques. Ce n’est pas (ou pas encore ?) la fourniture d’oeuvres.

F. Fournissant quelques oeuvres en ligne et développant des services en ligne, les bibliothèques publiques demeurent cependant :

– des fournisseurs d’objets physiques essentiellement sur papier

– des lieux multiservices d’accueil de la population

Hypothèse numéro 6 : Si toute bibliothèque numérique n’est pas physique, toute bibliothèque physique doit développer des services numériques. Cela ne modifie en rien son rôle par rapport aux ressources physiques (dont la place est relativisée mais non niée) ni le rôle du lieu bibliothèque qui prend au contraire une importance croissante dans les politiques publiques locales.

Tout ceci a naturellement un rapport avec l’avenir des bibliothèques.


12 Réponses to “Six hypothèses sur le numérique et les bibliothèques publiques”

  1. Une collègue a qui je faisais bart de ses hypothèse me disait qu’elle ne croyait même pas à la première (rôle d’orientation) sauf de façon très marginale. Elle voyait surtout le rôle de poinbt d’accès (des points d’accès publics parmi d’autres)

  2. Yvonnic said

    Autant les hypothèses 1 et 5 sont déja une réalité, autant les autres nous ramènent à la douloureuse question de notre place/rôle par rapport au marché en général. Cette fois, nous y entrons de plain pied. Les illusions du public sur la gratuité, nos propres soucis quant aux questions de droits, et un certain flou dans les politiques publiques, nous amènent à prophétiser l’arrivée d’une periode difficile, que l’on peut toujours appeler « de transition » pour la banaliser, periode où ne ne seront plus fournisseurs de supports materiels mais uniquement des fournisseurs de points d’accès publics (à des services qui eux-mèmes seront privés et payants). Nous n’avons pas notre place sur le marché du numérique. Ce support ne nous aidera donc pas à effectuer la transition en question. En théorie, on peut donc penser que nous finirons bien comme « des lieux multiservices d’accueil de la population ». Allons-y donc dans la joie.
    Bravo pour la reprise de la citation du Président Mao : Si un homme a faim, il ne faut pas lui donner du poisson, il faut lui apprendre à pêcher ! …
    Mais avons-nous faim, et de quoi ?

  3. Aimable said

    « Si un homme a faim, il ne faut pas lui donner du poisson, il faut lui apprendre à pêcher. » Donner à manger à un meurt-de-faim, ça s’appelle pourtant et tout simplement la solidarité. Il est vrai que, dans notre monde libéral, c’est l’autre réponse qui prévaut : « apprendre à pêcher », c’est-à-dire apprendre les techniques de la guerre de tous contre tous, être en mesure d’écraser l’autre, savoir se vendre. Pas étonnant que les idéologues du capitalisme d’Etat (Lénine, Mao, Trotsky, Staline, Guevarra) aient aujourd’hui la cote, eux qui n’ont cessé, à l’instar de leurs homologues libéraux, de pourfendre les valeurs et les pratiques populaires (toujours « réactionnaires ») au nom du peuple et du progrès.

    Aimable.

  4. Yvonnic said

    Et donner à bouffer à un troll, ça s’appelle comment ? Une connerie.

  5. aimable said

    @Yvonnic.

    Il y a en effet quelque chose de vain dans l’exercice auquel je me livre : c’est sans intérêt (mieux vaut utiliser son temps à mettre au clair une vraie pensée, si l’on est convaincu d’avoir quelque chose à dire), ce n’est pas compris, ça n’a aucun impact. Aussi, comprenez bien ceci : je ne cherche ni à scandaliser, ni à nuire, ni à jouer au plus fin. Non, mais seulement l’occasion de la critique (vous me pardonnerez, c’est ma vocation), parce que c’est un signe de bonne santé mentale. Il y a sans doute de l’autocomplaisance dans cette vision des choses (et beaucoup de facilité aussi). En la circonstance, il ne me semble pourtant pas inintéressant, du point de vue de la connaissance de l’imaginaire et des valeurs professionnels, de noter que quelqu’un comme D. Lahary s’appuie sur Mao et Staline pour illustrer sa conception du métier. Cela ne me semble pas anodin, même s’il a pris soin de contextualiser ses emprunts.
    Après cela, vous pouvez considérer tout ça comme une « connerie » et vous complaire de votre côté dans l’enculage de mouches (voilà la « connerie », selon moi) ; tout ça est sans importance. Et Lahary a au moins cette qualité : il permet à tout un chacun de sacrifier à ses vices et à ses manies… y compris vous-même. Le choix de la liberté, même s’il s’accompagne d’un mépris de circonstance pour les « trolls » (j’ai dû chercher sur internet le sens du terme) suffit à mon bonheur.

    aimable

  6. Yvonnic said

    Je dois à la vérité de rappeler que cette citation est également attribuée à Confucius par beaucoup de spécialistes. Mao s’en serait simplement inspiré. Il existe une certaine continuité dans la pensée chinoise de Confucius à Mao.

    Quant à Staline, je vous informe qu’il ne pensait pas, il calculait. On voit bien que vous ne l’avez pas connu. Des spécialistes s’accordent néanmoins à penser que s’il était encore de ce monde, il aurait envoyé tous les trolls en Sibérie !

    Voilà donc le Laharysme réhabilité définitivement, s’il en était besoin… Je dois néanmoins reconnaître que rapprocher Dominique Lahary des bouchers historiques que vous citez et d’en faire un « idéologue du capitalisme d’état » a permis à quelques collègues de rigoler un peu, et à d’autres de considérer définitivement et sans appel que, par cette simple énormité, vous tombez le masque et apparaissez bien pour ce que vous êtes: un adepte de la mort de l’échange. (http://uzine.net/article1032.html)

  7. aimable said

    @Yvonnic : manifestement, certaines subtilités du raisonnement vous sont étrangères. Signaler l’analogie des imaginaires (non pas des analogies imaginaires) n’est pas établir une équivalence. Aussi, je me permets cette marque de mépris, qui vous confirmera dans votre opinion : les cons peuvent bien « rigoler un peu » ; ignorance, autocomplaisance et fatuité vont souvent de pair. Prenez votre cas : « Il existe une certaine continuité dans la pensée chinoise de Confucius à Mao. » En effet, ce rapprochement figure dans la biographie du grand homme parue chez fayard ; vous auriez pu citer vos sources au lieu de laisser croire que vous pratiquiez assidûment sa pensée. Et puis : « Quant à Staline, je vous informe qu’il ne pensait pas, il calculait. » Là, ça ne va pas : l’opinion avisée (et peu amène) qu’il avait de son maître Lénine montre le contraire (mais pour le savoir, il faut être lecteur et non pas juge, Yvonnic). Enfin, ce tic bolchevique : le « laharysme » : et l’Yvonnicisme, c’est quoi ? L’obsession du « masque » et du secret ? Le manie du roquet qui veut toujours avoir le dernier mot ?

  8. zzzzzzzzzzzz said

    Non, non, Aimable, vous vous trompez. Le dernier mot (dans les commentaires sur ce blog, tout du moins), c’est bien vous qui l’avez le plus souvent.
    Selon une tactique imparable: petite accroche « trollesque » (une analogie n’est certes pas une équivalence, mais bon, il s’agit quand même d’un « Rapport de ressemblance, d’identité partielle entre des réalités différentes préalablement soumises à comparaison » – TLF -. Donc oui: l' »imaginaire » de D. Lahary a une identité partielle avec l’imaginaire stalinien. Répétez après moi, Aimable :l’imaginaire de D. Lahary a une identité partielle avec l’imaginaire stalinien. ça ne prête pas à rire, cela donne tout simplement le vertige – de l’analogie) qui fait mordre à l’hameçon un riverain de passage (moi ou un autre).
    Puis c’est l’estocade. Là, vous n’êtes pas du tout un troll. Vos commentaires sont même, dans leur genre, très bons (enfin, je trouve). But so what ?

  9. aimable said

    @zzzzzzzz

    En répondant, je vous donne raison. Aussi je vais tenter de sortir du piège en formulant autrement le problème que vous soulevez. Ce qui m’intéresse, dans ce qu’on appelle le « débat professionnel », c’est le non-dit. En d’autres termes, les prises de position sur telle ou telle question technique, bibliothéconomique ou administrative ne m’importent que par ce qui les sous-tendent : valeurs non assumées comme telles, adhésions implicites, etc. C’est ce qu’on pourrait aussi appeler : essayer de penser radicalement. « So what ? » : c’est bien ainsi que je ponctue, pour ma part, la plupart des « billets » et des interventions qu’ils provoquent… et qui me font réagir ainsi que je le fais.

    Bien sûr, il y a sans doute une part de présomption dans ce choix (ne serait-ce que parce qu’une réaction spontanée n’a pas forcément la valeur de pensée que son auteur lui attribue). Sachez quand même qu’il y a des lieux où l’échange est virulent et substantiel, sans qu’il soit question de « trollisme ».
    Que souhaitez-vous : un blog réservé aux gens qui pensent comme son initiateur, sur le modèle de celui créé par Claude Poissenot – où, de fait, il ne se dit rien ?

    Aimable

  10. zzzzzzzzzzzz said

    Bon (et je m’arrête là, hein), le reproche principal (pour peu que je puisse m’autoriser « juger ») est de deux types.
    1/ on peut faire de la critique virulente et substantielle sans avoir besoin d’en référer à Staline, Mao ou au totalitarisme (même « tranquille », cf. l’ouvrage d’AC Robert et A. Bellon). Cf. la « reductio ad hitlerum » de Leo Strauss (que je n’ai pas lu, je suis un cuistre comme les autres).

    2/ vous montez tout de suite en généralité, comme dit l’autre (je pourrai être moins cuistre, mais je m’abstiens). Votre critique radicale de l’implicite, toute légitime qu’elle soit selon moi, me semble voler trop haut. Moi, ça ne me parle pas, pour dire les choses plus simplement.

    Je vous laisse le dernier mot, en précisant que c’est l’une des vertus de ce blog (et de D. Lahary) que de laisser la possibilité à la critique de s’exprimer, dans toute sa verve polémique. Ce n’est en effet pas le cas partout… Mais je pense qu’un blog peut aussi, effectivement, jouer le rôle de salle de pause de bibliothèque, où ne se retrouvent que les gens qui souhaitent se parler.

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