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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

Nous avons tous tué biblio-fr

Posted by Dominique Lahary sur 6 juin 2009

[Message « Biblio-fr s’arrête » du 3 juin 2009 reproduit sur le site Bibliofrance]

D’abord, un énorme bravo à Sarah et Hervé pour tout le travail accompli.

Ensuite, l’émotion et la réflexion.

Pour moi restera le souvenir de ce jeudi 4 juin 2009 au matin. Je navigue sur l’ordinateur mis à la disposition des clients de cet hôtel d’Erfurt, capitale de la Thuringe, où je me trouvais pour le congrès de l’interassociation allemande. Ce n’est pas pour raconter ma vie, mais biblio-fr mérite qu’on livre des témoignages personnels.

Consultant mes méls, je tombe sur « Biblio-fr s’arrête ». C’est comme un coup de tonnerre. Ma première pensée a été comme ce concentré de vie qu’on doit ressentir quand on est dans un avion qui s’effondre sur l’Océan. Mais très vite, en moins d’une seconde j’en suis sûr, je me suis dit : « Et merde. Nous qui avions une offre d’emploi à passer. » En lisant au calme le beau message de Sarah et Hervé, j’ai compris qu’ils avaient raison : biblio-fr est devenu, en grande partie, un service. Alors que Sarah y passe ses dimanches et ses nuits. Ça me troue le cœur, mais vous avez raison d’arrêter.

[je laisse les modérateurs enlever ce passage s’ils jugent qu’il constitue un détournement de la règle qu’ils ont édictée de ne passer que les messages du « livre d’or »]

Nous avons tous tué biblio-fr.

Nous l’avons tué en cessant d’y débattre. Il y a bien eu quelques débats récents, et je diverge sur ce point de Bertrand Calenge qui a eu le courage de mettre les pieds dans le plat (http://bccn.wordpress.com/2008/11/29/jen-ai-marre-de-bibliofr/) : les échanges qui  s’y déroulaient, quelle que soit leur tenue, étaient révélateurs d’une partie de l’opinion bibliothécaire. C’était intéressant, même dans ses contradictions, ses confusions, ses redondances. J’ai personnellement utilisé certains débats dans des interventions et des cours, par exemple sur le thème du dimanche, ou sur celui intitulé « Je craque », qui a produit à mon sens un des plus beaux textes que j’aie jamais lu sur le métier de bibliothécaire (https://listes.cru.fr/sympa/arc/biblio-fr/2006-01/msg00075.html). Il faut évidemment archiver tout cela.

Et puis il y avait les gens qu’on aimait lire, comme Jack Kessler, Pierre-Jacques Lamblin, Jacques Faule ou Bernard Majour. Et Hervé Le Crosnier, de plus en plus rarement.

Mais voilà. Nous nous sommes repliés sur les blogs. D’autres qui n’avaient jamais posté de point de vue sur biblio-fr sont directement passé au blog. Une autre forme de vie, de débat, de circulation de l’information est apparue.

Ça fait des mois que je me dit « je vais poster un  papier sur biblio-fr ». Des mois que je ne l’ai pas fait.

C’est trop tard maintenant, et j’éprouve  une nostalgie comme celle du temps où il n’y avait qu’une seule chaîne de télévision. Biblio-fr était notre maison commune et nous voilà éparpillés entre nos blogs personnels. Voilà Pierre-Jacque Lamblin, Jacques Faule et Bernard Majour sommés de créer le leur. Comme un jour j’ai créé le mien sur le conseil d’un ami que je remercie d’ailleurs.

Je ne suis pas ravi de ce passage du pot commun aux petites tambouilles privées, si succulente et même prodigieuse que soit la soupe dans certaines. Je rêve d’un retour au collectif, puisque l’histoire sait parfois offrir des va-et-vient et repasser les plats.

Nous avons tué biblio-fr parce que nous l’avons pris pour un système de questions-réponses. C’était facile, sur le nombre d’abonnés il y en avait toujours pour répondre. Je ne suis pas de ceux qui condamnent cette pratique au motif qu’elle serait celui des paresseux. Elle est celle des ignorants, et alors ? Nous sommes tous ignorants de bien des choses. « La » profession n’est pas un groupe homogène sorti d’un cursus unique et qui devrait tenir sa langue avant de poser des questions oiseuses. Il n’y a pas « une » profession mais un carrefour, un chaos sans cesse renouvelé. Nous sommes à l’âge des systèmes de questions-réponses, dont celui de l’Enssib portant sur nos thèmes professionnels. Mais pourquoi ne pas garder, quelque part, le principe de la réponse par n’importe qui, pas seulement les spécialistes d’une institution, si qualifiée soit-elle ? Nous avons Bibliopedia (http://www.bibliopedia.fr/). C’est une partie de la réponse. Grâce soit rendue à son créateur.

Nous avons tué biblio-fr parce que nous l’avons pris pour un support d’annonces légales. Les marchés publics. Les offres d’emplois. Il existe bien le BOMP et divers autres sites pour les offres d’emplois, mais aucun n’en avait la puissance de diffusion ni la facilité de réception. Mais c’est un service, dont le modèle économique reposait sur un dévouement devenu déraisonnable.

Nous avons tué biblio-fr parce que nous l’avons pris pour un média de promotion de nos institutions et manifestations. Cela donnait bien sûr des idées aux autres de thèmes et d’intervenants mais c’était là encore en service.

Et puis, sur biblio-fr, nous avons publié nos communiqués. Associatifs, syndicaux, institutionnels. Je ne crois pas que cela l’ai tué. Il manquera un média commun qui soit aussi support de nos messages aux bibliothécaires et amis des bibliothèques.

Nous avons aussi signalé nos journées d’étude, nos colloques, nos congrès. Cela correspondait aussi à un besoin légitime. Lionel Dujol et Silvère Mercier ont fondé Calendoc (http://www.bibliobsession.net/calendoc/) il va falloir s’habituer à le nourrir et à le consulter.

Moi, ça ne me gênait pas de trier les messages sur leur objet et de n’en lire qu’un sur dix ou sur vingt. Mais Sarah, elle, devait se les fader tous, les regrouper, rejeter ceux qui devaient l’être, répondre aux messages aux modérateurs, notamment à ceux qui se considéraient comme des clients ayant des droits. Ce n’était pas raisonnable et ne pouvait plus durer.

Et puis, Hervé n’avait pas créé biblio-fr, Sarah ne l’avait pas continué, pour tous ces usages là. En matière bibliothéconomique, je me méfie énormément de la notion de détournement d’usage. Mais il ne s’agit pas là d’un service public mais d’une initiative privée, même si elle fut d’intérêt public. Il est légitime de revisiter l’effet d’aubaine que constituait biblio-fr pour un certain nombre d’usages pour lesquels il n’avait pas été créé et qui ont fini par l’envahir.

Bien des choses ont changé depuis 1993. Comme média collectif,  sans doute, comme base de connaissances assurément, la messagerie est devenue une solution archaïque, difficile à gérer pour les modérateurs comme les récepteurs, alors que nous sommes à l’âge ou les réseaux sociaux (biblio-fr en était un) disposent des outils du Web 2.0. Autant qu’ils servent, les wikis, fis RSS, nuages de tags, services questions réponse et sites de partage divers.

L’éclatement de ce que charriait biblio-fr est nécessaire parce que les fonctions étaient devenues trop divergentes (c. Cela n’e qui n’empêche pas d’en réunir l’accès, ou les adresses, quelque part)

Cela ne signifie pas que nous devons perdre tout support commun de débats. Je ne me résous pas au seul repliement sur les blogs personnels, si intéressants soient beaucoup d’entre eux. Ils ne sont d’ailleurs pas seulement des supports de débats. Le blog de du Bulletin des bibliothèques de France (http://bbf.enssib.fr/blog) joue un rôle de signalement : « sur tel blog, tel débat ». C’est déjà quelque chose.

Reste l’impressionnant travail réalisé. Je souscris à 100% au bilan que dressent Hervé et Sarah : mission accomplie. Il faut archiver et se souvenir. Je me souviens des rencontres de biblio-fr d’avril 1978 (http://biblio-fr.info.unicaen.fr/rencontres98/), et qu’Hervé dû renoncer aux secondes rencontres qu’il avait pourtant préparées. Je me souviens de tous ces débats sur biblio-fr, de ces contributions lumineuses, obscures, intéressantes, agaçantes, fouillées, bâclées, constructives, destructives. Une belle tranche de vie.

Mais la vie continue Des initiatives vont sans aucun doute surgir dans les jours qui viennent.

Merci à vous deux, à Michel Melot aussi, qui est pour quelque chose dans la naissance de biblio-fr, et bonne continuation pour toutes vos (autres) activités.

[message écrit en déplacement, sans avoir pu voir les autres, que je lirait maintenant – et posté à biblio-fr ce 6 juin 2009]

11 Réponses to “Nous avons tous tué biblio-fr”

  1. nicomo said

    « Je ne suis pas ravi de ce passage du pot commun aux petites tambouilles privées (…) Je rêve d’un retour au collectif ».
    C’est vraiment une question de génération, et de culture professionnelle. Il y a la génération 1968 (pour faire vraiment très très vite, et caricatural), et la culture professionnelle nourrie du collectif, et de l’ABF en particulier. Et puis il y a la génération 2000, et la culture des blogs.

    Un exemple symbolique, mais symptomatique : je me souviens de l’auteur du blog Couv. ill. en coul., que je ne dénoncerais pas ici, qui appartient à la première génération / culture, dire dans un repas de blogueurs qu’il a envie d’arrêter et proposer de repasser le bébé à qui voudra, au collectif. Silence gêné de la génération 2000 présente en masse autour de la table : le blog, c’est perso, c’est pas du collectif, il est évident qu’aucun collectif, même celui des bloggueurs, regroupé-là lors d’un congrès ABF, ne reprendra quoi que ce soit.

    Le « collectif » est remplacé par un réseau informel, toujours mouvant, ad hoc, de personnalités. Ce n’est pas du collectif ni du pot commun. Ce n’est pas non plus un strict individualisme. Ce n’est pas une parole publique, mais ce n’est pas une tambouille privée. C’est le net.

  2. C’est marrant parce que j’ai failli mettre une phrase de ce genre : « si je dis ça c’est peut être parce que je suis d’une certaine génération. »
    Alors ta remarque ne me surprends pas, et d’une certaine façon je m’y attendais. Peut-être que je l’accepte. depuis ma tambouille privée ,-)

  3. B&C said

    Mais paradoxalement Biblio-fr était un collectif qui pouvait fonctionner efficacement parce qu’il était organisé par pas plus de deux personnes.
    Si, comme l’ABF va tenter de le faire, une liste identique est relancée avec de multiples modérateurs, alors ceux-ci pourraient rencontrer plus de problèmes concernant leur coordination et leur légitimité.

    Bref si on cherche à articuler ensemble le collectif et l’individuel, Biblio-fr y arrivait assez bien, les blogs et les associations un peu moins.

  4. Alain Pierrot said

    @nicomo

    « C’est le net. »

    Pas d’accord avec la caractérisation, trop lapidaire à mon avis, du net.

    Les techniques d’Internet et du web sont suffisamment vastes et flexibles pour autoriser des pratiques variées, collectives, collaboratives, individuelles…

    La question est d’obtenir que ces techniques restent ouvertes, évolutives et d’éviter que des pratiques dominantes ne rendent impossibles ou même simplement difficiles certains usages qu’en tant que citoyen et (accessoirement) ‘netizen’ je trouve profitables.

  5. BS said

    J’ai 42 ans donc je suis vieux, donc je suis attaché au collectif… .;-)
    Il y a quelques années, j’ai fermé – en autre – Mauvais genres car j’ai senti la montée des blogs.
    Mais je n’ai jamais pris Mauvais genres comme un site communautaire.
    Plutôt, un site relais qui créait de liens entre tous les acteurs du livre.
    Et derrière, il y avait un vrai boulot de structuration, un boulot de bibliothécaire.
    Je suis incapable de savoir si un réseau informel peut apporter plus.
    Mais je sais qu’une grande partie de la population a besoin de ce type de sites.
    Est-ce simplement une histoire de génération ou est-ce un mode de communication qui correspond à une époque ?

  6. Au moins le mérite de faire bouger les lignes… l’équation « âge » + « génération professionnelle » est un faux-nez.
    Déjà, la manière dont sont proposés (ou non) des substituts à biblio-fr mériterait une analyse sociologique.

  7. Biblio-fr : RIP.

    OK.

    Et si on on pensait/préparait concrètement les alternatives/suites ? En fait, ça a déjà commencé. J’ai tenté un (trop) rapide recensement : . Si certains/es peuvent m’aider compléter …

  8. Anonyme said

    @ Nicomo, Fauchié

    Aussi limité et déficient fût-il (et s’il faut mettre en cause la frilosité, voire la mesquinerie, des « modérateurs », ces travers sont plus largement l’expression d’un état d’esprit dans la profession), biblio.fr était un outil collectif, comme le souligne DL. C’était là sa grande vertu. Son effacement laisse place à ces trucs infâmes qu’on appelle blogs : de honteux exercices de masturbation (et les éjaculations d’Aimable ne font pas exception). En ce sens, cette disparition n’est pas seulement la conclusion logique du constat (partiellement) lucide dressé par Aubry-Le Crosnier, mais la traduction d’un phénomène d’une tout autre ampleur : l’atomisation du social et la privatisation des existences (voir ce que dit Castoriadis la-dessus). Voilà qui règle leur compte aux paresseux, qui croient avoir tout dit en invoquant la « notion » tautologique de « génération », qui n’explique rien – un « faux-nez », comme le dit joliment Michel Fauchié.

    @ DL
    Comme l’ont seuls souligné deux messages parus dans la dernière livraison de la liste, perdus au milieu du flot de lamentations indécentes, biblio.fr brillait surtout par son caractère lénifiant et oligarchique. Aussi, s’il fallait regretter quelque chose, ce ne serait surtout pas les exercices de style pédants, parfois jusqu’à l’insulte, d’un Lamblin ou d’un Faule ; ou encore les grands « débats » qu’ont été – je cite – « Le poids des cartables », « Greg le millionnaire » (mémorable !) ; ou encore la seule parole autorisée, celle des chefferies. Il manquait à biblio.fr la substance, le ton et la conviction démocratique. Pas d’ingratitude dans ma critique car il faut reconnaître aux initiateurs abnégation, compétence et persévérence. J’ai dit.

    Aimable

    • Hervé Le Crosnier said

      « la frilosité, voire la mesquinerie, des “modérateurs” »

      « Il manquait à biblio.fr la substance, le ton et la conviction démocratique »

      Hi, Hi hI, y’a longtemps qu’on ne me l’avait pas faite celle là. « Too much fun for the neighbourhood » comme auraient dit les Dogs

      A.nonyme, votre amabilité me touche.

      Hervé Le Crosnier

      • aimable said

        @ H. Le Crosnier

        Je vous réponds avec retard.

        « Comment! Je ne plais pas à tout le monde! » C’est l’exclamation indignée que je devine derrière votre remarque amère. Soyez certain qu’Aimable vous comprend, lui qui fait aussi l’unanimité… mais contre lui. Ah ! Etre aimé ou être détesté ! Peu importe du moment que ce soit par tout le monde. Nous voilà donc, vous et moi, partageant le même fantasme, égaux en narcissisme.

        Mais il faut le dire et le déplorer : rien ne nous préserve du dur rappel à l’ordre du réel. Alors Aimable vous le dit, aimablement et tristement : non Hervé, vous n’êtes pas aimé de tous ; de même que je ne suis pas l’objet d’une réprobation universelle (une femme m’aime, autre que maman). Voilà une révélation qui nous gâche l’existence, nous qui rêvons de plénitude.

        Après une telle déconvenue, que nous reste-t-il ? Le Pastis, le smack, Michel Onfray… ? Don’t give up, Hervé. Suivez plutôt la sage recommandation d’Aimable : souffrez, Hervé ! Souffrez le discrédit infligé par Aimable, comme lui-même affronte courageusement l’amour d’une femelle qui le prive de jouir de la détestation générale.

        Aimable, pour vous servir.

        PS : Le titre du disque des Dogs est « Too much class for the neighbourhood » et non pas « Too much fun etc. ». C’est pédant (le titre, pas mon érudition) et ça convient bien, en effet, au ton compassé de votre message.

  9. Bonjour,
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    Cordialement,

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