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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

Communiquer sur les bibliothèques… ouvertes

Posted by Dominique Lahary sur 25 février 2014

Je suis de ceux qui ont un moment rêvé d’une campagne de communication sur les bibliothèques (non pas pour elles, mais sur leur utilité dans la société, sur les services qu’elles rendent). Nous l’avons rêvé… Bibliothèques sans frontières (BSF) l’a fait !

Lancé dans les tout premiers jours de janvier, la pétition Ouvrons + les bibliothèques a immédiatement reçu un très large écho dans la presse écrite (papier et en ligne) et audiovisuelle.

C’est une pétition éminemment positive, qui promeut le besoin de bibliothèques, l’utilité des bibliothèques : « La bibliothèque a aujourd’hui bien plus à offrir qu’une collection de livres. Elle donne un accès privilégié à la culture, à l’information et aux nouvelles technologies. Elle peut être un lieu de travail individuel ou de réunion pour monter des projets (d’association, d’entreprise, etc.). Elle est essentielle pour la réussite des étudiants et des lycéens, notamment les plus modestes. Les citoyens ont besoin des bibliothèques, et les bibliothèques doivent s’adapter aux besoins de leurs publics pour assurer leur avenir ». Et la presse a relayé ce besoin.

Ouvrons-+-les-bibliothèquesC’était finalement la bonne idée, que de communiquer à partir d’un manque. « Ouvrons plus les bibliothèques », cela veut aussi dire « Nous voulons plus de bibliothèque », certes dans l’espace, mais aussi dans le temps.

La charte que BSF propose aux candidats aux municipales de signer est en tous points remarquable. S’appuyant sur « les principes à valeur constitutionnelle de continuité et d’égalité devant le service public », elle demande l’élargissement des heures d’ouverture « selon l’étude préalable des enjeux locaux, des usagers et de leurs besoins », « la coordination des structures locales », recommande « [d’]associer les professionnels et [de] respecter le métier de bibliothécaire », en suggérant notamment le respect de « leurs conditions de travail » et « des compensations suffisantes pour le travail dominical et du soir »,  proclame qu’il faut « accorder des moyens suffisants » tout en admettant l’utilité de « réorganisation internes » et enfin promeut « l’ancrage des bibliothèques au cœur de la vie publique ».

L’insuffisance globale des heures d’ouverture des bibliothèques, particulièrement des bibliothèques publiques en France est un fait connu. Avant même les deux rapporte de l’Inspection générale des bibliothèques sur le sujet (Améliorer l’accueil dans les bibliothèques : Propositions pour une extension des horaires d’ouverture par Georges Perrin avril 2008  et L’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques : progrès et obstacles par Dominique Arot, novembre 2012), j‘avais été frappé par l’article de Peter Borchardt Les bibliothèques de lecture publique en France vues d’Outre-Rhin (Bulletin des bibliothèques de France, n° 5, 2002). S’appuyant sur une observation ayant durée une vingtaine d’année, ce collègue allemand, après avoir noté l’engagement de l’Etat, dis son admiration pour l(architecture de nos bâtiments et la richesse de nos programmes d’action culturelle. Mais il a cette remarque cruelle : « Ce qui ne manque jamais d’étonner les bibliothécaires allemands, c’est la disproportion entre l’effectif du personnel et les heures d’ouverture ».  Et de pointer le faible niveau de coopération (« On a l’impression que chaque bibliothèque travaille pour elle-même ») et « la persistance du catalogage local et le temps qui lui est consacré ». J’avais l’année suivante résumé ainsi ce diagnostic : « Une bibliothèque publique à la française, c’est un établissement où on passe beaucoup de temps à faire autre chose qu’accueillir le public » (Lecture publique et territoires : essai de rétroprospective. Journées d’étude de l’ADBDP de novembre 2001, http://www.adbdp.asso.fr/Le-developpement-territorial-de-la).

Le grand mérite de cette campagne est de donner un coup de boutoir tout en valorisant les bibliothèques. Et ce coup de boutoir ne pouvait venir que de l’extérieur du milieu professionnel lui-même. Une partie de ce dernier, c’était prévisible et explicable, a réagi par une contre-pétition, Ouvrons mieux les bibliothèques, qu’on peut entendre et respecter, mais qui n’a aucune chance d’obtenir le même écho.

Les deux clés sont dans la charte proposé par BSF aux élus à à ceux qui veulent l’être : des moyens, mais aussi une politique de l’emploi adaptée (avec un volant de vacataires), de la mutualisation, des réorganisation internes. Les bibliothèques universitaires n’ouvriraient pas en moyenne 60 heures s’il n’y avait pas les moniteurs étudiants.

acces-horaire-bib-idfIl faut naturellement moduler les projets d’horaires en fonction des moyens. Mon étude de septembre 2011 portant sur l’Île-de-France et mise en ligne par le MOTif, Observatoire du livre et de l’écrit en Île-de-France, montre notamment la relation entre ouverture et population municipale. Et en complément des moyens d’heures d’ouverture généralement présentées, j’y calcule la population ayant accès à telle amplitude horaire, ce qui minimise l’impact des établissements les moins ouverts. Toutes les collectivités n’ont pas les moyens d’ouvrir autant, il n’est pas partout pertinent d’ouvrir le soir ou le dimanche. Mais oui, d’une manière générale, en France, on pourrait faire mieux. Il faut faire mieux.

Dans son étude Happy Hours : Impact des horaires d’ouverture sur les usages et fréquentations en bibliothèque publique de juin  2011 , le MOTif a mis en évidence six profils typiques d’usagers qui se distinguent par leur demande en matière d’horaires d’ouverture :

  • Les étudiants et lycéens) sont gros utilisateurs des espaces, viennent souvent, restent longtemps, empruntent peu. Ils sont prêts à venir plus encore, happy-hoursjusqu’à une heure avancée le soir, pendant les week‑ends et les vacances scolaires, voire en matinée.
  • Les demandeurs d’emploi ont des habitudes proches de celles des étudiants
  • Les adultes accompagnés d’enfants viennent les mercredis et en week‑end et empruntent beaucoup ; c’est un public féminin le mercredi, plus masculin le week‑end.
  • Les actifs fortement diplômés viennent surtout le week‑end, empruntent beaucoup et restent peu sur place.
  • Les actifs moins diplômés viennent plus facilement en semaine et séjournent un peu plus longtemps. Ils sont gros emprunteurs de DVD.
  • Les retraités viennent à n’importe quel moment mais peu en soirée et aiment lire sur place.

Choisir des horaires c’est donc choisir des publics. Mais selon les endroits, ces publics sont ou pas susceptibles de venir et les besoins ne sont donc pas les mêmes.

Les choix horaires se décomposent à mon sens en six modalités :

  • l’amplitude hebdomadaire qui permet de chiffrer une offre globale ;
  • le nombre de jours d’ouverture et le choix de ceux-ci, ce qui comprend la quesiton du dimanche ;
  • la pause méridienne, qui selon la configuration locale peut rendre incongru la fermeture de la bibliothèque ;
  • l’heure de fermeture le soir ;
  • la régularité des horaires d’un jour sur l’autre, permettant de les mémoriser ;
  • les adaptations saisonnières, par exemple durant les vacances scolaires, les périodes d’examen ou la saison estivale.

En se concentrant sur les soirées et le week-end, la pétition Ouvrons plus les bibliothèques, traite une partie de ces questions et privilégie une partie des publics. Mais cette simplification est efficace et permet d’ouvrir la question générale des horaires. Une question bibliothéconomique, une question politique. Une question de service public.

Voir aussi :

Perrin, Georges. Accueillir de nouveaux publics ? Oui ! Mais quand ?, Bulletin des bibliothèques de France n°5, 2009.

Mon précédent billet sur ce sujet : Une bibliothèque doit être ouverte ou fermée, 11 novembre 2008.

[en bleu, réparation le 27/02/2014 d’un oubli et ci-dessous une brassée de liens tous frais ajoutés le 26 mars]

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9 Réponses vers “Communiquer sur les bibliothèques… ouvertes”

  1. gaudois said

    Les premiers résultats de notre campagne de comptage sembleraient montrer qu’une augmentation (et une meilleure lisibilité) des horaires a un impact positif (voire foudroyant parfois) sur le nombre d’entrées, mais à condition que la différence soit conséquente : ouvrir 1h de plus n’a aucun effet, ouvrir 10h de plus a un effet assuré…

  2. memoire2silence said

    Oui c’était une belle idée pour parler des bibliothèques… reste les moyens humains… pour la réaliser…. ouvrir plus… pour proposer quoi ? Comment ? … avec de nouveaux emplois précaires ? ;)

    • Le recours à un volant de vacataires n’a rien de choquant pour moi. J’en connais qui ont commencé comme ça, qui étudiant se sont ainsi inséré dans une vie professionnelle.

  3. thierry b. said

    Bonjour,
    J’admire, comme souvent, votre enthousiasme.
    Cependant nombre de questions restent en suspens, liées aux moyens évidemment.

    Entendons-nous bien, je suis partisan d’une ouverture le plus large possible des bibliothèques, partout et de manière adaptée aux besoins et aux désirs des usagers.
    Tant comme usager que comme professionnel j’apprécie les nocturnes, ouvertures méridiennes et en week-end.
    Mais je suis pour le moins circonspect vis-à-vis de cette pétition et des modalités d’actions de BSF.

    Je vois que nous aurions recours au recrutement de vacataires.
    D’accord, mais quels profils ?
    Quelles qualifications ?
    Pour quelles tâches et quels services proposés ?

    BSF évoque également étudiants et bénévoles.
    N’y en a t-il pas déjà que trop, alors que nous avons besoin de professionnaliser nos équipes ?

    Je l’impression d’un amalgame entre BU et BM, d’une prise en compte assez légère des problématiques de territoires, bref que l’on met tout dans le même sac.
    Certes cela provoque un effet de masse propice à la communication et à la sollicitation de la grogne populaire.
    Mais il en résulte surtout au final un petit goût de démagogie qui imprègne l’ensemble de cette action.

    En sortant de sa manche, juste avant les élections municipales, cette pétition et la campagne presse qui va avec, BSF brouille les cartes.
    Les candidats ne résisteront pas tous à la possibilité offerte de briller en ajoutant leur voix au brouhaha créé par BSF, en inscrivant ces ouvertures supplémentaires dans leurs promesses électorales sans forcément envisager les moyens nécessaires à leur mise en place.
    Allez, ça ne mange pas de pain et de toute façon tout cela retombera comme un soufflé d’ici la fin de l’été.

    Certes il y a du bruit, du battage et des relais médias…
    Mais un tel carnet d’adresses (impressionnant !) et ces entrées médiatiques eussent certainement été plus pertinents dans une période plus calme, propice au dialogue et aux prises de décisions réelles.
    Là je ne vois que du virtuel, de la promesse de campagne, du maquignonnage électoral. Et les plus roués ne seront au final pas les bibliothécaires…
    On ne mets pas sous pression de cette manière les décideurs, maîtres des cordons de la bourse ; c’est toujours un marché de dupe.

    J’ai tenté d’interpeler BSF sur ces points, jamais je n’ai obtenu de réponse…
    Peut-être n’ai-je pas utilisé les bons canaux, ou la prise en compte tant vantée de la profession n’est-elle qu un effet d’annonce ?
    J’ai en tant que bibliothécaire – et je le regrette vraiment – l’amer sentiment d’être manipulé dans une campagne de communication bien huilée et un brin cynique.

    • Avec respect, désaccord profond sur plusieurs points.
      D’abord ces gens n’ont rien de cynique. J’en ai côtoyé dans une réunion publique (le président, un chargé de mission) : ce qualificatif me semble totalement à côté de la plaque.
      D’accord avec l’utilité d’apporter de la nuance, de territorialiser : j’y contribue par mon billet dont ils ont eu connaissance.
      Ensuite : la période électorale est au contraire excellente, car la bibliothèque est un outil de politique publique locale. D’ailleurs ça a marché, voir les liens supplémentaires que je donne en post scriptum.
      Quant aux interrogations sur la qualification cela me rappelle les mêmes réactions du temps des emplois jeunes, qui globalement ont apporté, et dont certain sont restés et se sont qualifiés. Je pense toujours qu’il faut qu’une profession soit ouverte : http://www.lahary.fr/pro/2002/ouverte.htm

  4. gaudois said

    Quelle meilleure période que la campagne des municipales pour mettre un coup de projecteur sur les bibliothèques ? Elle permet de les re-positionner dans leur rôle de service public ayant toute sa place dans la mise en œuvre des politiques publiques locales – l’ABF ne fait pas autre chose dans sa lettre ouverte. Vous vous sentez instrumentalisé par BSF ? Grand bien fasse à BSF, qui nous tend une super perche pour que nous, bibliothécaires, instrumentalisions leur campagne au service de la lecture publique dans nos collectivités ! Il ne nous manque souvent qu’un peu de visibilité pour que nos élus « tiltent » sur l’intérêt que pourrait avoir la bibliothèque en termes d’image -oui, et alors, si cela permet d’améliorer l’action de la bib ? Une petite anecdote : Lors des dernières municipales, une directrice de bibliothèque trop petite, vieillotte, inadaptée d’une commune du val d’Oise a « fait les marchés » pendant la campagne municipale pour interpeller les candidats. Résultat : La ville a une belle médiathèque toute neuve !
    Quand à la diabolisation du recours aux vacataires « non qualifiés » pour permettre d’ouvrir plus, je trouve que c’est un non-débat corporatiste et sans objet : Parlez-moi de la qualification des bibliothécaires « de métier » sur l’accueil du public ? Un coup d’œil aux posts de la page FaceBook « Tu sais que tu es bibliothécaire quand… » donne une idée de la considération des bibliothécaires pour leur public… (Et là, oui, je m’énerve un peu !)

  5. bcalengeb said

    Je suis mille fois d’accord, Dominique, et je relaie ! Merci, cher retraité !!!

  6. […] publie une lettre ouverte aux candidats des municipales. Dominique Lahary revient sur la pétition "Ouvrons + les bibliothèques" de BSF. Au-delà des municipales, […]

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