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Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 5 : les compétences culturelles dans une impasse… provisoire ?

Posted by Dominique Lahary sur 16 Mai 2010

Le Sénat a donc corrigé la copie du gouvernement en adoptant le 4 février 2010 le projet de loi de réforme territoriale. Il revient maintenant à l’Assemblée nationale de l’examiner à partir du 25 mai 2010.

La version sénatoriale nous écarte du projet gouvernemental sur quelques points sensibles.

a) Sur l’épaisseur du millefeuille

  • La métropole, simple établissement public et non collectivité territoriale de plein exercice, ne reçoit pas toutes les compétences du département, en particulier pas celles relative aux bibliothèques départementales de prêt.
  • Un nouveau type de collectivité territoriale est créé, issu de la fusion d’une région et des départements qui la composent.

d) Sur les compétences des départements et des régions (article 35)

  • Ces deux types de collectivités perdent bien la clause de compétence générale au profit d’une liste limitative de compétence qui fera l’objet  d’une loi adoptée « dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi ». Ces compétences seront exclusives, c’est-à-dire qu’aucune autre collectivité ne pourra les exercer.
  • Des exceptions au principe d’exclusivité sont prévues : « lorsque, à titre exceptionnel, une compétence est partagée entre plusieurs niveaux de collectivités, la loi peut désigner la collectivité chef de file chargée d’organiser l’exercice coordonné de cette compétence ou donner aux collectivités intéressées la faculté d’y procéder par voie de convention ».
  • La limitation des compétences est ainsi tempérée pour les départements et des régions : « la capacité d’initiative de la région ou du département ne peut s’appliquer qu’à des situations et des demandes non prévues dans le cadre de la législation existante, dès lors qu’elle est justifiée par l’intérêt local », et plus encore pour les départements : « Le département continuera à être identifié comme le lieu des politiques publiques de proximité et sera confirmé dans son rôle de garant des solidarités sociales et territoriales ».
  • Enfin, « la pratique des financements croisés entre les collectivités territoriales est encadrée afin de répartir l’intervention publique en fonction de l’envergure des projets ou de la capacité du maître d’ouvrage à y participer ».

Les compétences culturelles

C’est le débat dans le débat : sous la querelle de la clause de compétence générale des départements et des régions, il y a celle de ce qu’on peut appeler la « clause de compétence générale culturelle ».

L’émoi est grand dans les milieux culturels territoriaux ou dépendant de l’aide des collectivités territoriales, et cela se comprend. Tous les niveaux interviennent comme ils l’entendent en dehors de toute notion de compétence obligatoire. Les financements croisés sont fréquents et des régions vont jusqu’à financer des productions cinématographiques, ce qui n’avait certes pas été prévu à leur création comme collectivité territoriale en 1982. Cela a déjà donné plusieurs manifestations de rue, le spectacle vivant étant particulièrement mobilisé.

Ceci alors que la raréfaction des moyens de l’Etat et des collectivités territoriales fait de toutes façons peser des menaces, entre autres, sur le secteur culturel.

Le Président de la République, adressant ses vœux au monde de la culture le 7 mai 2010, a dit : « Toutes les collectivités, des communes aux régions en passant par les intercommunalités et les départements, continueront à exercer leur compétence culturelle après le vote de la loi réformant les responsabilités des collectivités territoriales. »

Le ministre de la culture Frédéric Mitterrand, s’appuyant sur cette phrase, assure dans une tribune intitulée Culture en région : il n’y a pas de loup dans nos bergeries (Libération du 7 mai 2010) que le Président de la Fépublique « a […] clairement affirmé à cette occasion que la compétence culturelle des collectivités territoriales serait préservée ». Il poursuit : « Je ferai tout pour que la volonté du président de la République de conserver à la culture son caractère de compétence partagée entre l’ensemble des collectivités publiques soit bien suivie d’effet ». Mais la phrase suivante est sujette à interprétation : « La réforme en cours permettra au plan général de démêler l’enchevêtrement des compétences, mais sans attenter à l’effort culturel dans nos territoires. En permettant d’éviter l’éparpillement des moyens et le gâchis des énergies, elle garantira une meilleure efficacité de l’action publique et accroîtra ainsi, à terme, l’attractivité de nos territoires où la culture a naturellement toute sa place ».

Au demeurant, c’est au législateur, sous l’éventuel contrôle du Conseil constitutionnel, qu’appartient le dernier mot. Force est alors de reconnaître que l’article 35 adopté par le Sénat pose question. Car de deux choses l’une :

  • Tout ou partie des compétences culturelles sont attribués aux départements à titre ce compétence exclusive. Cela interdit alors aux autres niveaux du millefeuille territorial de les exercer. La clause de compétence générale des communes serait ainsi amputée des compétences dévolues aux départements et/ou régions.
  • Telle ou telle compétence culturelle, ou la totalité, sont partagée, comme le promet le ministre. Il faut alors un chef de file.

L’une ou l’autre de ces hypothèses ne sont raisonnables. On ne peut pas priver les communes de gérer ou subventionner des musées, ou des théâtres, si les départements le font aussi. Et la notion de chef de file en matière culturelle ne tient pas la route : imagine-t-on une région ou un département s’ingérer dans la politique culturelle d’une commun e ou d’une agglomération, en dehors d’une coopération librement consentie ?

Nous sommes donc dans une impasse et il appartient à l’Assemblée nationale de nous en sortir.

Que deviennent les bibliothèques ?

Les compétences en matière de bibliothèques constituent un cas particulier de ce tableau. Les départements (sauf paris et la petite couronne d’Île-de-France) y disposent d’une compétence obligatoire (les bibliothèques départementales) qui ne seront pas, comme on l’a cru un moment, amputées par les métropoles. C’est déjà une compétence exclusive et celle-là ne pose pas question. Elle n’a rien d’un « chefdefilat » et ne remet pas en cause l’autonomie des communes.

Si nous ne prenons en compte que les établissements, alors la répartition est simple, et pour tout dire tautologique. Les communes gèrent les bibliothèques municipales ou, par transfert exclusif, les intercommunalités gèrent les bibliothèques intercommunales). Les départements les départementales. Ce n’est pas une compétence partagées parce que les missions ne sont généralement pas le s mêmes.

Si nous prenons en compte les politiques, et la lecture publique comme segment des politiques publiques pour la mise en œuvre desquelles les bibliothèques ne sont qu’un instrument parmi d’autre, alors oui, on peut parler de compétences partagées, et la notion de chefdefilat est aussi improbable qu’à propos des compétences culturelles dans leur ensemble.

Quant aux financements croisés, dont j’ai délibérément fait l’éloge [https://lahary.wordpress.com/2008/11/13/les-bibliotheques-et-le-mille-feuilles-territorial-1-lecture-publique-a-tous-les-etages/],on espère qu’ils ne pâtiront pas de la formule du Sénat selon laquelle ils doivent être encadrés « afin de répartir l’intervention publique en fonction de l’envergure des projets ou de la capacité du maître d’ouvrage à y participer ». Un élu me disait récemment qu’on devrait plutôt parler de cofinancement sur la base de projet partagés.

[Comme tous les billets de ce blog, celui-ci n’engage que son auteur]

Les dossiers législatifs des assemblées :

Mon article dans le Bulletin des bibliothèques de France n°3, [février] 2010 : Les bibliothèques dans le millefeuille territorial (n’engageant que moi)

Les autres épisodes de mon feuilleton :

Une Réponse to “Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 5 : les compétences culturelles dans une impasse… provisoire ?”

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