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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 4 : épouser la reconfiguration des périmètres et des compétences, pour le meilleur et pour le pire

Posted by Dominique Lahary sur 2 septembre 2009

Je reprends mon feuilleton « Les bibliothèques et le mille-feuilles territorial » interrompu depuis le 11 février 2009.

Trois textes sont depuis parus, officiellement ou non :

Faisons simple et concentrons-nous sur ce dernier texte dont les grandes lignes sont présentées sur le site de l’ADBDP, toujours en prenant notre petit bout de la lorgnette (la lecture publique et les bibliothèques).

La fin de la clause de compétence générale des départements et des régions

Le projet de loi reprend la proposition du rapport Balladur en prévoyant la fin de la clause de compétence générale des départements et des régions. Seules les communes et l’Etat la détiendraient désormais. Mais la définition des compétences respectives des départements et des régions est renvoyée à une loi ultérieure.

Cette répartition limitative des compétences des différents niveaux de collectivités est a priori une mesure de bon sens : quand tout le monde fait tout, il y a gaspillage et le citoyen n’y comprends plus rien. Mais j’ai dit ici et en quoi cela privait les échelons ainsi corsetés de toute latitude pour développer de véritables politiques. Cette mesure n’est pas décentralisatrice car elle réserve à l’Etat la stratégie.

Et en matière de lecture publique, la fin de la clause de compétence des départements permettraient plus difficilement de la lier aux autres politiques sociales , éducatives et d’aménagement du territoire. Voilà pour moi deux raisons pour soutenir la position de l’Assemblée des départements de France (ADF) en faveur du maintien de la clause générale de compétence.

Remarquons toutefois que cette suppression est atténuée par la licence qu’auraient les départements de financer les communes et intercommunalités en dehors de leurs compétences strictes.

La réforme du mode de désignation des élus des départements et des régions

La confusion entre élus départementaux et régionaux, en la personne des « conseillers territoriaux », pourrait poser la question de l’autonomie politique des départements, et donc de leurs politiques respectives en matière de lecture publique.

Mais je me réjouis d’avance du renouvellement tous les six ans des élus départementaux, qui est souhaité par l’ADF et qui permettraient enfin aux conseils généraux de vivre le rythme normal d’une mandature (6 ans) au lieu d’être soumis tous les trois ans à une possible alternance.

La limitation des financements croisés

Voilà encore une mesure apparemment de bon sens. Mais j’ai dit comment la combinaison des périmètres de financement est légitime pour compenser trois handicaps : la petite échelle, l’insuffisance des ressources et les charges de centralité.

Le projet de loi oblige toute collectivité à financer au moins 50% des projets dont elle est maître d’ouvrage, tant en investissement qu’en fonctionnement (plancher ramené à 30% pour les communes de moins de 2 000 habitants, les intercommunalités de moins de 20 000 habitants et les zones ANRU). Cette clause heurterait de plein fouet les politiques de développement de la lecture publique d’un certain nombre de départements, qui s’ajoutent aux soutiens de l’Etat dispensés dans le cadre du concours particulier de la dotation générale de décentralisation en faveur des bibliothèques.

Le rapport Belot auprès du Sénat reconnaît que la pratique des financements croisés « s’avère toutefois indispensable » : « La pratique des cofinancements est essentiellement l’expression financière d’une coopération entre les acteurs publics. […] [Elle]  permet la réalisation de projets qui n’auraient pu voir le jour si la participation conjointe de plusieurs personnes publiques avait été impossible. […] Les cofinancements sont indispensables à l’action publique, notamment des collectivités territoriales. »

Dans La Gazette des communes, des départements et des régions du 13 juillet 2009, Karine Gloanec-Maurin, présidente de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), déclarait :  « Les financements croisés […] permettent de resituer les projets dans une perspective d’aménagement culturel du territoire ».

La reconfiguration des périmètres et la mise en place de métropoles

Le projet de loi encourage la libre reconfiguration des périmètres notamment par fusion de départements et de communes. Ces fusions entraîneraient mécaniquement la réorganisation des bibliothèques départementales ou communales concernées. Rien à redire là-dessus, sinon une évolution prévisible du paysage.

En revanche la création de métropoles, qui dépouilleraient sur leur territoires les départements de leurs compétences, reconfigureraient les missions des BDP concernées en la limitant aux besoins de la périphérie rurale. Aux départements et métropoles concernés d’engager d’éventuels partenariats. Le rapport Balladur, contrairement au projet de loi, énumérait les métropoles à créer : Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Nice, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulon et Toulouse. C’est une indication.

Quant au cas de l’Île-de-France, il fait sous le nom de code de « Grand Paris » ou de « Paris métropole » l’objet de projets croisés sur fond de polémiques. Si une simplification structurelle se dégageait, la gestion des réseaux de bibliothèques pourrait en être reconfigurée.

Le renforcement dirigé de l’intercommunalité

C’est une des orientations les plus claires du projet de loi, dans la lignées du rapport Balladur : tout va être fait pour que le processus d’intercommunalisation s’achève et que les périmètres soient redéfinis et simplifiés, par fusion des communautés trop petites. Le Préfet aurait un rôle prépondérant, au besoin coercitif, dans cette marche forcée, à laquelle échapperait l’Île-de-France, objet d’un traitement spécial lié au Grand paris. Enfin, la fusion volontaire des communes appartenant à la même intercommunalité serait encouragée.

Ce renforcement attendu de l’intercommunalité ne peut que favoriser une meilleure organisation de la lecture publique. Théoriquement. Car s’est un outil qui n’est efficace que si les volontés conjuguées des élus, des administrations et des professionnels permettent de l’utiliser pleinement dans l’intérêt public. J’y reviendrai dans un prochain billet.

Conclusion : bibliothèques à tous les étages, quoique.

Même si la définition des compétences des départements et des régions est renvoyée à une date ultérieure, on peut supposer qu’en matière de culture, il va en être comme dans le rapport Balladur : statu quo, à l’exception des archives, dont les communes pourraient être privées (ça, c’est encore à voir) :

Extrait du tableau n° 14 du rapport Balladur :
Répartition nouvelle des compétences entre collectivités locales et l’Etat

balladur-tableau

On nous annonce donc des bibliothèques à tous les étages, même à celui où il n’y en a pas : la région. Cette bourde, présente déjà dans le rapport Lambert de novembre  2007, a été consciencieusement recopiée dans les suivants. Ira-t-elle jusqu’à être gravée dans la loi ?

Mais n’évacuons pas la question si vite. Et si ce que, revenant en 2001 sur 50 ans de tentatives et de projets avortés, j’ai appelé « l’introuvable échelon territorial » en matière de lecture publique se dégageait enfin ? Nous n’en sommes pas là. Les agences régionales de coopération entre bibliothèques ont presque toutes rejoint une structure interprofessionnelle du livre, parfois ouvert à d’autres supports. Les lambeaux de missions quelles se donnent en matière de bibliothèque pourraient, sous la houlette de la FILL qui les fédère, déboucher sur une tentative de recension régionale puis nationale des données sur les bibliothèques, à l’heure où l’ADBDP avance à grands pas en collaborant de son coté avec le ministère de la culture. Les conseils régionaux, sans lesquelles ces agences régionales ne vivraient pas, développent ici et là des politiques pouvant aller jusqu’au soutien financier aux investissements en matière de bibliothèque. Mais la véritable perspective régionale n’apparaîtrait que si nous assistions à la disparition progressive du département au profit de la région, intention avouée à demi-mot par Edouard Balladur (voir parmi d’autres son interview dans Libération du 9 mars 2009) et prospective admissible… à moyen ou long terme. Il faudra bien alors que les BDP d’une même région fusionnent, si elles existent toujours. De même que de leurs côté les bibliothèques actuellement municipales pourraient accompagner la montée inexorable de l’intercommunalité.

Mais un équipement, est-ce une politique ? La « compétence obligatoire » des départements se réduit à la seule gestion des BDP quand celles-ci sont souvent devenues un instrument parmi d’autres d’une politique de soutien et de développement qui s’appuie également sur un dispositif de subvention. De ce point de vue, il serait préférable que la loi annoncée énumérant les compétences des départements et des régions ne se contente pas d’attribuer aux premiers la gestion des « bibliothèques départementales de prêt » (appellation de plus en plus désuète) mais fasse plutôt référence à une politique de soutien à la lecture publique. Mais je tremble en écrivant cela : la référence à un établissement, malgré ses limites, n’est-ce pas préférable à la désignation d’une politique qui peut devenir si évanescente qu’elle n’en vienne à se passer de l’établissement ?

J’en termine là, sur l’expression de ce doute.

Mes autres billets sur le projet de réforme territoriale :

5 Réponses to “Les bibliothèques et le millefeuille territorial, 4 : épouser la reconfiguration des périmètres et des compétences, pour le meilleur et pour le pire”

  1. Bonjour Dominique, j’ai lu tes différents articles consacrés à la réforme territoriale et jusqu’à présent j’étais plutôt d’accord avec ton point de vue. Jusqu’à aujourd’hui…. et ton propos sur la fin éventuelle pour les départements de la clause de compétence générale, étant entendu que nous regardons, n’est-ce pas, par le petit bout de la lorgnette de la lecture publique.
    Je suis d’accord avec le risque de « corsetage » des politiques que tu évoques. Par contre, cette fameuse clause -et telle qu’elle est pratiquée explicitement dans ma collectivité- entraîne à mes yeux un inconvénient majeur : c’est que profitant de la définition très « évanescente » de la compétence confiée aux départements, elle place la lecture publique dans un rapport de force et de comparaison vis à vis des autres politiques culturelles qui lui soit presque toujours défavorable au moment douloureux des arbitrages budgétaires.
    J’en veux pour signe tangible le choix de plus en plus net vers des politiques culturelles à régie directe, les musées départementaux par exemple, préférable selon la plupart de nos élus parce que bien plus valorisantes pour la collectivité qu’un éparpillement dispendieux et invisible au profit d’autres collectivités – généralement peu reconnaissantes qui plus est(sic!)… J’ai lu dans un rapport du Ministère de la Culture que la somme des investissements culturels produits par les collectivités locales (7 milliards d’euros en 2008)ne cessait de croître et atteignait désormais le double de celui consenti par l’Etat, mais qu’en même temps la part redistributive (d’une collectivité locale vers une autre collectivité locale) n’avait cessé de fondre pour ne plus représenter que 3,5% du total de cet investissement.
    Bien moi j’aime cette idée toute simple, et que je trouve aussi plus respectueuse du fonctionnement d’une démocratie, que lorsque le législateur confie une compétence à un échelon déterminé, celui-ci veille en priorité à l’exercer pleinement et convenablement avant de chercher à s’octroyer alentour des parts de marché supposées plus « juteuses ». Dans cette quête d’image, malheur aux « faibles ».

    Au plaisir de te revoir.

    Guy Flodrops
    (bibliothécaire départemental)

  2. Michel Fauchié said

    Ton billet m’évoque l’introuvable loi sur les bibliothèques qui, en dehors de son caractère incantatoire, pourrait contenir la définition a minima d’une politique de lecture publique, assortie d’une obligation de moyens : voilà pour la cohérence nationale.
    Deuxième volet : des mesures non facultatives dans le cadre d’un accès à tous, tenant compte de la spécificité des territoires et des publics, mesures dont l’incitation financière doit être co-budgétée par les collectivités.
    Idéalement ces mesures appellent la mise en oeuvre de services, avec obligation de moyens et de résultats.
    BMVR et pôles associés [entre autres] deviendraient alors les têtes de ponts d’un réseau professionnel, utile pendant aux politiques locales.

  3. A Guy : Je suis d’accord, la clause de compétence présente des inconvénients. Mais j’en vois d’avantage à son absence : l’impossibilité de développer de véritables politiques croisées, dans lesquelles il me semble que la lecture publique s’insère le mieux (voir le colloque La bibliothèque outil du lien social le 11 décembre 2008 par le Conseil général du Val d’Oise, en partenariat avec l’association Cible 95 et la Communauté d’Agglomération Val de France et auquel tu as participé). Le débat est sans doute théorique : beaucoup pensent que « la clause de compétence, c’est cuit ».

    Mais ce que tu me dis me faut penser à autre chose : le caractère invisible du rôle fondamental que jouent les bibliothèques. Elles rendent une multitude de micro-services à des tas de gens. Ça ne se voit pas. Difficile concurrence de visibilité avec d’autres champs de l’action culturelle. Finalement l’action culturelle (l’animation) en bibliothèque à au moins ce mérite de rendre visible l’invisible. (Elle peut avoir d’autres mérites, bien sûr).

    Eh bien, de même, l’action fondamentale des BDP est invisible. C’est même de l’altruisme institutionnel : on soutient des bibliothèques communales et ça ne ce voit pas trop, l’apport du Conseil général. Alors, bien sûr, une bonne grosse compétence transférée de l’État, bien mise noire sur blanc au Journal officiel, c’est un appui.

    A Michel : Moi qui croit peu à cette incantatoire loi, voilà que tu me réconcilie avec. Je disais « Il ne faut pas forcément une loi sur les bibliothèques, il faut que les bibliothèques soient dans les lois, chaque fois que nécessaire » (voir DADVSI par exemple). Mais tu as raison : la réforme territoriale offre une « fenêtre de tir » de première grandeur. ce devrait être l’occasion de clarifier l’étagement des compétences. On verra. On peut peut-être aider ?

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