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Blog professionnel de Dominique Lahary, bibliothécaire. Mes propos n'engagent que moi.

L’Etat stratège et les autres : faut-il avoir la peau des départements ?

Posted by Dominique Lahary sur 9 octobre 2008

Il est de bon ton de fustiger « la lasagne territoriale », comme l’appelle Maurice Leroy, qui, tout président de conseil général qu’il soit, plaide pour la fusion des départements et des régions : « La « lasagne » est devenue une spécialité française avec un empilement successif de strates de collectivités : communes, communautés de communes, pays (Pasqua-Voynet, pays portés par les régions), communautés d’agglomération, départements, régions. La conséquence directe de cette superposition d’échelons sans sédimentation, c’est une déperdition d’efficacité des politiques publiques, faute de cohérence, de moyens et de synergie qui est autant de deniers publics perdus ». « En finir avec la lasagne territoriale ! », par Maurice Leroy, Le Monde, 13 février 2008.

Quant à Jacques Attali, il propose de « faire disparaître en dix ans l’échelon départemental par absorption de leurs compétences par les régions ou les intercommunalité : « Conçue pour renforcer la démocratie […] et améliorer le fonctionnement administratif, la décentralisation est devenue un facteur de confusion, tant les compétences partagées sont nombreuses et paralysantes, et génératrices de coûts supplémentaires, notamment de fonctionnement » (Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française sous la présidence de Jacques Attali).

De façon plus modérée, le rapport sur Les relations entre l’État et les collectivités locales remis sous la présidence du Sénateur Alain Lambert en novembre 2007 dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques  propose malgré tout de « confier aux départements et aux régions des compétences spéciales à la place de la clause générale de compétence. » L’ADF (Assemblée des départements de France) s’est montrée attachée au maintien de la clause générale de compétence.

Dans son article intitulé « Du conseil général à l’agence départementale » et surtitré « Hypothèses sur la disparition d’une collectivité locale », parue dans Pouvoir locaux n°75 de décembre 2007, le chercheur Philippe Estèbe montre que l’accumulation de compétences de gestion transférées de l’Etat pour la mise en œuvre desquelles ils ne disposent guère de marges de manœuvre risques de transformer les départements « en agences départementales chargées d’administrer différentes prestations au public. »

Il est naturellement nécessaire de faire la chasse aux doublons et de rendre lisible, pour les citoyens, les élus et les fonctionnaires les compétences de chaque niveau de collectivité publique. Mais leur interdire une compétence générale au profit d’une collection hétéroclite de compétences partielles risque de les rendre incapables de développer une véritable stratégie, donc une politique. A ce compte là, la théorie de « L’Etat stratège », telle que défendue dans le rapport Attali, est en réalité profondément centralisatrice en ce qu’elle donne à l’Etat le monopole de la stratégie, et donc, encore une fois, de la politique.

Le département est-il dépassé ? Dans chaque pays, le découpage territorial est le produit de l’histoire. Si l’émiettement communal, que l’intercommunalité n’a pas combattu puisqu’elle ne fait qu’ajouter un échelon supplémentaire, est une tare connue de la France (le rapport Attali rappelle que nos communes ont en moyenne « 1 600 habitants contre 55 200 au Danemark, 34 900 aux Pays-Bas, 31 100 en Suède, 12 100 en Finlande, 10 500 en Norvège, 7 200 en Italie et 5 300 en Espagne »), il convient de trouver le bon niveau pour que s’exercent des compétences de solidarité, d’équilibre et de développement territorial. Les agglomération urbaines ne sauraient rejeter dans les ténèbres les espaces intersticiels qui sont, comme l’a montré Christophe Guilluy, souvent des espaces de relégation sociale.

Voilà qu’une éventuelle absorption des départements par les régions est à nouveau évoquée. Puisse une réforme des collectivités territoriales, si elle est menée à bien, sauvegarder les nécessités de l’équilibre et de la stratégie, à tous les niveaux. Le citoyen gagnera toujours à choisir entre des politiques, plutôt qu’à désigner les simples gestionnaires de lambeaux de compétences mécaniques.

Dernière minute : communiqué du 8 octobre de l’ADF, l’Assemblée des départelments de France

(Ce billet a sa place sur mon blog car, fonctionnaire territorial, je me sens concerné professionnellement par les questions territoriales dans leur ensemble. Mais quid des bibliothèques dans ce contexte ? J’y reviendrai bientôt.)

Voir aussi :

5 Réponses to “L’Etat stratège et les autres : faut-il avoir la peau des départements ?”

  1. Merci Dominique pour cette belle synthèse sur la lasagne que constitue notre belle organisation administrative…
    A coup sûr que le pizzaiolo qui voudrait modifier cela, créerait à tous les coups un nouvel étage, voire une nouvelle étagère…
    Aïe, Kafka is parmi nous !
    Plus on veut simplifier et plus ça se complique…
    Tchao
    Silence (de la Mémoire)

  2. Yvonnic said

    Ecrasons la lasagne et transformons là en une crêpe bien lisse prête aux enjeux de demain. Les départements et les cantons ne sont plus ces chasses gardées où la sociologie rurale assurait à certaines élites plutôt conservatrices, des majorités indétrônables. N’oublions pas non plus qu’il subsiste dans l’opinion publique, une forme larvée de populisme « anti-élus » qui verrait d’un bon oeil la suppression des conseils généraux, car peu de gens connaissent l’importance des compétences sociales qu’ils assurent. Mais au fait ces compétences, que deviennent-elles ? On a l’impression qu’elles éclatent et se dispersent encore davantage, des discours fumeux tentent de faire croire à une disparition de compétences ! Pourquoi ne pas imaginer transférer les compétences du département à la région? Supprimer le niveau départemental ne supprime pas les missions que je sache! Amusant que les partisans de la mutualisation, de l’intercommunalisation en matière de territoires de lecture publique deviennent si frileux à l’idée de toucher a leur echelon du lasagne…
    Non, à mon avis, le problème est surtout qu’on risque de voir à l’échelle de la région un centralisme un peu trop prononcé, qui serait néfaste pour les petits pays. « L’état-stratège » ? Sans doute et au delà. C’est le seul vrai risque. Par ailleurs on peut quand mème se demander si le département a un avenir dans une Europe des Régions. Dans quelques décennies l’Europe sera découpée en grandes régions (economiquement viables; Au passage notons que les nôtres sont déja trop petites à cette echelle, regardez la taille des Länders allemands ou des regions espagnoles…) Que feraient nos départements dans ce découpage ? Une strucure de trop, une feuille de plus sur le millefeuille ,mais les feuilles supplémentaires (intercommunalité et regions) ont été rajoutées récemment et n’ont pas de légitimité historique. Y remedier par le vote pour l’une et par une vision europenne pour l’autre. Donc pourquoi ne pas avoir cette vue à long terme d’une organisation de l’Europe avec un système de grandes régions tout simplement?
    Logiquement on devra supprimer cette désuette institution que sont les départements. Mais conserver par contre cette institution (bien qu’ illegitime) qu’est la communauté de communes, simplement pour conserver un vrai service de proximité avec les communes et une vraie économie d’échelle avec les régions. Il ne s’agit donc pas d’abandonner une structure, mais d’en remodeler la coordination. Et l’économie va se faire au niveau des « sous décisonnaires ».Les conseils régionaux,compte tenu des moyens technologiques, sont tout à fait aptes à gérer cette fonction (qu’ils assurent déjà en partie ) Où est le problème à faire sauter un doublon ? Tout le monde veut bien la fin des doublons, c’est vertueux, mais personne n’est d’accord pour le désigner. En bibliothèque ils sont pourtant les premiers à partir au pilon, pour ameliorer la visibilité générale…. Il est clair qu’en supprimant les départements, on supprimera l’élu de proximité (mais est-il si proche, ce cumulard clientéliste ?), les services sociaux de proximité. Mais on oublie de parler d’un nouveau maillon qui pointe le nez depuis Pasqua, puis Voynet : les pays. comme pour les EPCI, les élus ne sont pas élus au suffrage direct. Et pourtant leur importance dans notre quotidien ne fait que croître. Et il faut aussi rappeler que la création de ce nouvel échelon intercommunal SOUS ENTENDAIT DEJA LA DISPARITION DES DEPARTEMENTS, ce que personne n’a voulu voir à l’époque. Ramener les responsabilités a un seul niveau permettrait enfin d’engager des projets de fond avec des budgets consequents et de les gerer dans un seul service. (Et de s’adresser à l’Europe d’une seule voix pour les subventions par exemple..)Non, le departement a décidément vecu.
    Autre probleme que posent les departements, c’est leur caractere parasitaire également en ce qui concerne justement les intercommunalités naissantes (competences et subventions). Dans certaines régions les élus du département ont proprement saboté les intercommunalités. Dans d’autres elles fonctionnent si bien que le doublonnage commence à se voir…

    De plus nous nous dirigeons vers un monde hierarchisé a 5 structures, du fait de la mondialisation, des avancées technologiques et des investissements de plus en plus lourds: les villes-agglomerations, par l’importance sociale qu’elles ont, l’importance du territoire aujourd’hui, de l’interconnexion et des metropoles; les regions, toujours pour le territoire, la coordination a une echelle plus vaste et la dimension identitaire ravivée par la globalisation; l’etat, toujours indispensable malgré ce que l’on peut en dire, capable de creer une veritable cohesion et permettant d’effacer les inegalités entre regions et villes; vecteur donc de solidarité; l’union europeenne dans ce cas precis, moyen d’uniformisation, ayant un reel poids au niveau mondial dans tous les domaines, permettant les reajustements necessaires au niveau continental et enfin un echelon mondial que nous connaissons deja un peu. et dans tout cela les departements apparaissent comme des parasites qui augmentent une bureaucratisation deja avancée, qui se telescopent souvent avec l’intercommunalité (il suffit de regarder le Grand Paris), qui creent de multiples doublons avec les directions regionales et nationales (voir la rigolade au niveau des DDE …) et qui empechent le developpement d’une reelle cooperation regionale, necessaire aujourd’hui et ce pour de multiples raisons : euroregions, poles de competitivité, centralité d’une ville au niveau regional le fait est qu’en france les communes et les departements correspondent a des limites fixées pendant la revolution francaise. Ces limites aujourd’hui ne sont plus valables, ni au niveau des communes (une commune aujourd’hui ne fonctionne que dans un ensemble, il suffit de regarder les migrations pendulaires, et encore nous n’avons pas les données sur les autres migrations…) et nous en sommes a 36 000 communes, pourtant l’urbanisation et la periurbanisation se sont developpés depuis 1789… et ceci sans parler des departements qui aujourd’hui ne correspondent en rien aux aires urbaines, ni aux zones de developpement et ne permettent en rien le reglement des problemes de segregation socio-spatiale et autres. il suffit de regarder l’exemple de la Seine Saint-Denis: coment voulez vous qu’un departement pauvre aide ses habitants? tandis qu’une intercommunalité renforcée autour de Paris aurait les moyens de reequilibrage et de redistribution necessaire, sans parler de la regions dont les domaines de competence sont encore limités. La seule objection a la suppression des departements serait conjoncturelle : Il faudrait D’ABORD le renforcement prealable des regions et de l’intercommunalité. Attali, avait vu juste, il aurait juste fallu en expliquer les raisons et contraindre les politiques, cette fois ci, à ne pas faire les choses a moitié.

    De toutes façons ne soyons pas naifs: La suppression des départements n’est, pour l’instant du moins, pas faite pour réorganiser le territoire, mais pour réduire le budget de fonctionnement de l’Etat. Une réelle reorganisation suivra, : Pays (de preference aux douteuses intercommunalités) et Régions europeennes. Et on ne risquera pas de creer une « nouvelle étagère ».

  3. Dans mon billet, où je ne disais rien des bibliothèques (j’y reviendrai prochainement), je ne prenais nullement position pour ou contre la suppression des départements mais tentais de remettre en cause la fausse évidence de la nécessité de la spécialisation des compétences, pour la survie de stratégies territoriales, quelle que soit la superposition qui in fine sera choisie.

  4. Yvonnic said

    J’oubliais que votre position ne vous permet effectivement pas de prendre position sur ce sujet. Vous évoquez la necessité de préserver une stratégie territoriale cohérente mais vous ne définissez pas le territoire concerné. Tout en suggérant que le département en serait le meilleur acteur.

    Il se trouve que les partisans du département invoquent souvent sa légitimité « historique » , voire « naturelle ». Le débat historique nous mènerait trop loin (Après tout la République qui les a créés, si petits, si gérables, les a préféré à l’époque à de lourdes ,peu maniables voire dangereuses provinces …Un échelon dont la taille, le découpage et le poids economique nous font bien défaut aujourd’hui, et dont la légitimité historique etait evidemment indéniable, mais bon, on ne va pas pleurer sur les paroisses non plus ), mais nous pouvons au moins regarder ce qui se passe au niveau « naturel », celui du citoyen. Nous savons parfaitement que les usagers ne s’y retrouvent pas du tout dans nombre d’actions menées localement, notamment entre communes et intercommunalités où les conflits qu’ils soient politiques ou de compétences se multiplient. Et les gaspillages afférents. Du reste les gens ne cherchent pas à identifier ce qui relève de l’État, décentralisé ou non, ou des différents échelons territoriaux locaux. Toute stratégie n’est donc pas perçue en termes de compétences mais en termes de services effectivement rendus au pas de la porte. Et ce quel que soit l’échelon décisionnel. L’argument d’un département qui constituerait l’échelon naturel des solidarités territoriales ne repose donc que sur la perception de cette solidarité par les élus locaux, habitués de longue date à se tourner vers lui pour les subventions. C’est tout bête. Mais comme les moyens diffèrent, les résultats aussi. Et l’on perpétue ainsi des fractures souvent anciennes (donc naturelles ?). Le citoyen local se préoccupe en effet assez peu de savoir si ce dont il beneficie localement est partagé à un niveau plus large. Et les stratégies départementales perdurent dans la plus grande diversité…et disparités.

    Les appréciations portées sur les compétences et des stratégies semblent souvent reposer sur une présentation conflictuelle des différents niveaux de collectivité : Il y aurait les légitimes « proches » (départements, cantons et communes-EPCI) mais aux moyens très disparates et aux volontés soumises aux aléas de l’emiettement territorial, opposés au vertueux mais lointain couple Etat-Région, seul capable de developper des stratégies puissantes et qui permettraient de réduire les disparités locales, mais entaché d’illégitimité (L’Etat, pensez-donc !). La proximité couteuse mais inefficace (car perpétuant, prolongeant les disparités territoriales) contre l’Etat centralisateur et lointain (air connu…). Débat limité.

    Il s’agirait bien plus simplement de distinguer très concrètement, au niveau des bilans, ce qui, dans les compétences actuelles des départements, parait impossible d’être détaché de cet échelon, et d’apporter la preuve de cette impossibilité. En tous cas, pas plus que l’argument de proximité geographique, le discours classique sur la complémentarité des échelons ( chaîne CNL, DRAC, BDP, BM etc..mais on peut le tenir aussi sur la gestion du scolaire) n’est désormais audible, mème si cette complémentarité a pu avoir des effets remarquables ici ou là. Il s’agit désormais d’économies d’une part, et d’autre part de creer un partenariat d’acteurs (Communes-Regions) capables de produire le meilleur effet de levier pour imposer des stratégies efficaces et, surtout, en ce qui nous concerne, égalitaires.

    Qui réclame une Loi sur les bibliothèques ? Tout le monde. Quel échelon pourra la proposer nationalement, et la mettre en oeuvre localement ? Le Département ?

  5. […] D’octobre 2008 à novembre 2010  j’ai en 9 billets tenu une sorte de feuilleton de la réforme territoriale vue du petit bout de la lorgnette (les bibliothèques), avec une double ambition : apporter ma part par le biais d’un domaine que je crois connaître plus particulièrement, à la réflexion globale sur ce sujet d’importance et contribuer à la nécessaire appréhension par les bibliothécaires d’un contexte global qui les concerne absolument. […]

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