Bibliothèques en territoires, 5 : Risques et enjeux de la nouvelle donne intercommunale
Posted by Dominique Lahary sur 22 octobre 2014
Après avoir examiné l’échelon départemental , je me dois naturellement de traiter des régions. Mais les échéances ne se présentent pas toutes dans un ordre logique. C’est en ce moment que se joue le nouveau redécoupage intercommunal. Il me faut donc revenir sur un sujet que j’ai introduit avec mes 10 leçons.
En 2013 avait déjà été mise en place une nouvelle carte, établie par des commissions départementales de coopération intercommunale sous la houlette des préfets. Le Premier ministre Manuel Valls a, lors de sa déclaration de politique générale du 8 avril 2014, annoncé un nouveau remaniement de cette carte sur la base des « bassins de vie ».
Deux processus parallèles sont lancés : d’une part la création des métropoles (celles de droit commun et les trois cas particuliers que constitueront Paris, Lyon et Aix-Marseille), d’autre part l’établissement de nouvelles cartes des communautés de communes et d’agglomération, sous l’égide des préfets qui pilotent avec une commission d’élus la révision du schéma départemental de coopération intercommunal établi fin 2013. En Ile-de-France, c’est le préfet de région qui préside à l’élaboration d’un schéma régional de coopération intercommunale d’ici au 28 février 2015.
Sauvegarder les acquis
Dans l’immédiat, ces deux processus sont susceptibles de mettre en péril des réseaux intercommunaux de lecture publique répondant à un éventail de formules dont la minimale est la mise en commun virtuelle des collections par un catalogue commun et une carte d’emprunteur valable partout, et l’optimale est le transfert de l’ensemble des équipements à l’établissement public de coopération intercommunale (pour autant qu’il se traduise par des services communs).
L’IABD a publié le 11 octobre un Appel pour la préservation des acquis en matière de réseaux intercommunaux de bibliothèques qu’il convient de relayer largement.
Les menaces sont de deux ordres :
- soit le périmètre du réseau intercommunal se retrouve noyé dans un ensemble plus vaste,
- soit il se trouve coupé en deux voir trois morceaux, chacun étant appelé à rejoindre des regroupements intercommunaux distincts.
Dans le premier cas, le risque est un retour à une pure gestion communale des établissements et/ou des services qui représenterait une importante régression. Or l’extension du réseau à l’ensemble du nouveau périmètre est soit malaisée, en tout cas dans l’immédiat, soit peu imaginable. Je pense naturellement à la situation des réseaux totalement intercommunaux de Plaine commune te Plaine centrale dans Paris métropole, et du SAN Ouest Provence dans la métropole Aix-Marseille leur taille est telle qu’on imagine difficilement, comme je l’indiquais dans mes Questions d’échelle, une extension du modèle.
Il faut donc trouver la formule permettant à ces réseaux de subsister avec une assise la plus légitime possible, c’est-à-dire une assise politique. Cela pourrait faire partie des compétences déléguées aux « conseils de territoire ». Des discussions serrées se mènent entre représentants élus sur cette question. N’oublions pas que parmi les enjeux de ces débats, il y a les réseaux de lecture publique !
Mais ce risque de dilution ne se présentent pas que dans les métropoles. dans d’autres territoires, au gré des nouveaux périmètres des communautés de communes ou d’agglomérations qui sont dessinés par les préfets de région, des réseaux de bibliothèques doivent être préservés mêmes si les conditions ne sont par remplies dans l’immédiat pour les étendre. Puisse un esprit de pragmatisme inspirer les décideurs.
Les solutions en cas de démantèlement des territoires intercommunaux sont encore plus complexes à définir :
- maintien d’un réseau dans chaque portion désormais séparée, avec une optique pragmatique d’extension à chaque nouveau périmètre intercommunal si cela semble opportun. Cette option oblige à un montage complexe de séparation technique et financière du réseau informatique de gestion ;
- survie d’un réseau informatique à cheval sur deux ou trois périmètres intercommunaux, avec la même optique d’extension future éventuelle, cette option pouvant être considérée (ou apparaître rétrospectivement) soit comme une mesure transitoire, soit commune une mesure durable de mutualisation inter-intercommunale.
Dans les deux cas, serait distingué le réseau technique (logiciel de gestion), avec maintien ou non d’une mutualisation du service (l’usager a droit ou non à tout ce qui est référencé dans le réseau), et les périmètres de gestion des équipements et personnels qui peuvent difficilement transcender les nouvelles frontières intercommunales.
Utiliser les nouveaux périmètres avec pragmatisme et progressivité
La nouvelle carte intercommunale qui va être mise en place courant 2015 va se traduire par un élargissement important des périmètres, par le jeu des minima démographiques : 200 000 habitants à proximité de Paris métropole (article 12 de la loi de modernisation de l’action publique et affirmation des métropoles) 20 000 habitants ailleurs sauf en zone montagneuse, (article 14 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, à examiner par le Sénat fin décembre). Des périmètres tels que dans certains départements, on ne comptera parfois que trois ou quatre communautés de communes ou d’agglomérations.
Ce renforcement de l’intercommunalité, qui est à l’évidence, depuis la loi dite « Chevènement » de 1999, une tendance forte, peut être un atout pour la lecture publique mais aussi pour les missions patrimoniales des bibliothèques. « L’intercommunalité est une voie majeure de développement des bibliothèques territoriales. Elle permet à la fois des formes diversifiées de mutualisation et une amélioration des services au public » écrivait l’IABD dans son document sur la décentralisation publié par le Sénat en décembre 2012.
Chacun conviendra que les moyens des collectivités territoriales ne vont pas se multiplier dans les années qui viennent. Conforter des services publics sera souvent les mutualiser. Développer des services nouveaux requerra souvent des échelles plus vastes que les périmètres intercommunaux.
Nous disposons d’un recul suffisant pour affirmer sans hésitation que les bibliothèques se prêtent parfaitement à un traitement intercommunal. Le public peut y gagner, par une extension des services rendus. La gestion également peut y gagner, par toute une série de formes de mutualisation humaine technique, logistique.
J’ai écrit en codicille à mes 10 leçons sur la lecture publique intercommunale que le transfert total des équipements permettait un optimum de mutualisation. Mais aussi dans mes Questions d’échelle que tous les périmètres n’étaient pas adaptées à une gestion commune intégrale.
La souplesse même du cadre intercommunal, avec une grande latitude de définition de l’intérêt intercommunautaire, autorise un grand éventail de solutions dont le socle est la mutualisation des services. Ne voir que le transfert intégral des équipements risque de braquer inutilement quand une telle solution ne semble pas à portée. C’est pourquoi je ne cesse de dire que l’expression « prendre la compétence lecture publique » n’a pas de sens. Il appartient au contraire à chaque conseil communautaire de puiser dans la variété des formules possible celle qui lui paraît convenir à un moment donné.
Il convient également de considérer l’intercommunalisation comme un processus qui s’étale dans la durée et s’accommode d’une gestion par étapes, soir parce que celles-ci ont été préalablement définies, soit, ce qui n’a rien d’indigne, parce qu’on découvre pas à pas comment aller plus loin. Au demeurant, on sait bien que « l’entrée en réseaux » des équipes ne peut être que progressive.
l convient enfin de ne jamais confondre intercommunalisation et perte de la proximité : au contraire, la coopération et le cas échéant à gestion intercommunale peuvent consolider un maillage du territoire approprié qui, pour ne laisser aucune population à l’écart, réclame une bibliothèque toutes les demi-heures.
Il n’est pas interdit de concilier l’ambition et la vision avec le pragmatisme et la progressivité. C’est à condition que, dans le domaine des bibliothèques comme, j’imagine, dans bien d’autres segments de l’action publique locale, la nouvelle donne intercommunale pourrait permettre à la fois de pérenniser et d’améliorer les services publics.
Complément du 6 novembre 2014
Une fiche du site Collectivités-locales.gouv.fr, portail du gouvernement pour les collectivités, traite de la fusion des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Elle analyse et synthétise les dispositions issues des lois n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales et n°2012-281 du 29 février 2012 visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale.
La règle générale est que la fusion d’EPCI conduit à un transfert au bénéfice de l’EPCI issu de la fusion de l’intégralité des compétences obligatoires, optionnelles et facultatives dont les EPCI existant avant la fusion étaient titulaire. Mais une période transitoire de deux ans est possible pour les compétences affectées d’un intérêt communautaire et les compétences facultatives : les bibliothèques ressortissent généralement de l’un et/ou l’autre cas.
Est également la restitution aux communes des compétences, ce qui n’est pas à souhaiter. Dans tous les cas, il faut considérer avec attention la façon dont les compétences sont définies dans les statuts des EPCI et les mettre en relation avec les disposition du Code général des collectivités territoriales relatives aux compétences des EPCI.
Billets précédents de la même série
La saison 2 : Bibliothèques en territoires (2013-???)
- 5 : Risques et enjeux de la nouvelle donne intercommunale [le présent billet]
- 4 : Une compétence obligatoire départementale à la croisée des chemins, 30 septembre 2014
- 3 : Questions d’échelle, 22 août 2014
- 2 : Inscrire les bibliothèques dans le big bang territorial, 22 avril 2014
- 1 : La lecture publique intercommunale en 10 leçons, 23 janvier 2013
- [Préambule] : Pourquoi tuer Plaine commune ?, 9 octobre 2013
Sujets à traiter dans mes prochains billets : la région, l’État, la contradiction entre tendances lourdes et chaos momentanés, enfin un retour sur la problématique d’ensemble.
La saison 1 : Les bibliothèques et le millefeuille territorial (2008-2010)
- 7 : Le Sénat nous donne rendez-vous dans un an, 9 juillet 2010
- 6 : Culture en morceaux, financements en lambeaux ?, 25 mai 2010
- 5 : Les compétences culturelles dans une impasse… provisoire ?, 16 mai 2010
- 4 : Épouser la reconfiguration des périmètres et des compétences, pour le meilleur et pour le pire, 2 septembre 2009
- 3 : Tout à l’intercommunalité et à la région ?, 11 février 2009
- 2 : Départementaliser les bibliothèques municipales ?, 31 décembre 2008
- 1 : Lecture publique à tous les étages, 13 novembre 2008
- [Préambule] : L’Etat stratège et les autres : faut-il avoir la peau des départements ?, 9 octobre 2008
Articles
- « Bibliothèques et réorganisation territoriale », tribune. La Gazette des communes, des départements et des régions n°28/2230, 14 juillet 2014.
- « Les bibliothèques au risque du bigbang territorial », tribune. Livres-Hebdo n°997, 9 mai 2014.
- « Les bibliothèques dans le millefeuille territorial ». Bulletin des bibliothèques de France, n°2, 2010.
Analyse
- Compétence obligatoire et bibliothèques départementales, Dominique Lahary, 30/03/2010, révisé le 23/02/2011.
Bambou said
Dominique, maintenant que c’est officiel, je peux annoncer que la MIOP restera en réseau et ce, alors que la culture ne sera pas une compétence de la métropole marseillaise mais communale (no comment…), à compter du 1er janvier 2016. Cette décision exclusive a été prise cet été par les maires du territoire Ouest Provence, considérant qu’ils ne pouvaient pas détruire une telle « cathédrale », au regard de la performance de ses services, du nombre d’inscrits, de sa réputation…
Notre DGA a ainsi été missionnée pour bâtir, avec la direction de la médiathèque, une nouvelle entité juridique et ce, dès l’année 2015. Nous commençons le travail, complexe (il nous faudra notamment intégrer de nouveaux services/expertises actuellement assumés par le SAN) mais engageant.
En bref, la MIOP ne changera que de nom :)
J.Pouchol
Dominique Lahary said
Merci Jérôme de cette bonne nouvelle. Pour les non initiés : la MIOP est la Médiathèque intercommunale Ouest Provence, voir son site http://www.mediathequeouestprovence.fr/ et son blog http://docmiop.wordpress.com/